MSA Ain-Rhône
Bernard Bouilloux : agir pour le mieux-être des agriculteurs

Du 20 au 31 janvier, les ressortissants de la MSA éliront leurs délégués. Ces derniers oeuvrent chaque jour pour le monde agricole. Pourtant leur rôle demeure souvent méconnu. C'est pourquoi, l'Ain Agricole, l'Information Agricole du Rhône et la MSA Ain-Rhône vous proposent chaque semaine un portrait d'élu investi. Cinquième témoignage : Bernard Bouilloux, administrateur de la MSA et agriculteur à Etrez.
Bernard Bouilloux : agir pour le mieux-être des agriculteurs

Lorsqu'en février 1986 le directeur de la MSA de l'Ain est séquestré par les travailleurs sociaux mécontents, Bernard Bouilloux, alors âgé de 35 ans, est là. Appelé, avec les autres administrateurs, à la res-cousse, il assiste à l'arrivée de Jean Merle escorté par les gendarmes, et patiente toute la nuit, dans le froid, pendant que les pourparlers se déroulent. La cause du mécontentement est définie : les précédentes élections ont entraîné un changement de majorité au sein du Conseil d'administration de la MSA, mettant Jean Merle à sa tête. Ce nouveau président est bien décidé à restituer aux agriculteurs le pôle social, qui, mis par-tiellement au service de la DDAS par la MSA, a une tendance certaine à consacrer l'essentiel de son temps aux populations non agricoles et à négliger les agriculteurs.

Bernard Bouilloux, dont c'est le premier mandat en tant qu'administrateur, est-il déjà l'homme stoïque aux formules entières qu'il est aujourd'hui ? Si l'on ne peut répondre formellement à cette question, on peut néanmoins risquer une hypothèse positive devant le détachement avec lequel il raconte cette histoire. Peu importe le nombre d'onomatopées émises par son interlocuteur effaré par le récit de ces évènements, Bernard poursuit sa narration jusqu'à sa conclusion en ne manifestant pas davantage de trouble qu'il n'en a ressenti au coeur de l'action : "de négociation en négociation, on a fini par trouver un compromis de sortie. A cinq heures du matin le directeur a été libéré et je suis rentré à la maison m'occuper des bêtes."

 

Plusieurs générations sous le même toit

 

Les bêtes en question sont des poulets de Bresse et des vaches laitières dont l'élevage constitue l'activité principale de l'exploitation de Bernard sur laquelle il vit depuis qu'il est né. Fils d'agriculteur, il a connu les affres de ce mode de vie traditionnel qui regroupe plusieurs générations sous un même toit. Notamment quand les moyens manquent, cette communauté de vie familiale peut être source de conflits et peut engendrer le sacrifice de vies entières qui ne peuvent y trouver leur réelle place.

Comment, en effet, construire une vie person-nelle et professionnelle avec un statut d'aide familial qui dure plus que de raison lorsque le travail effectué ne rapporte rien, que les intérêts des générations en présence s'entrechoquent et que les enfants, source de dépenses inutiles pour l'exploitation, dérangent ? On habitait, on travaillait, on vivait, on mourait. Ce cons-tat lapidaire est émis sans émotion par Bernard qui, pour en avoir été le témoin innocent dans son enfance, a rejeté ce schéma et agit dans le but d'éviter ce piège à d'autres en leur offrant une issue. C'est ainsi qu'il a oeuvré et qu'il oeuvre encore au sein d'un EHPAD, solution d'accueil qui permet d'accompagner les per-sonnes âgées tout en protégeant la famille des effets chaotiques et frustrants d'une cohabitation subie.

 

La débrouille

 

Ce contexte, qui le marque, le construit aussi et lui permet de voir des solutions et des nécessités d'adaptation là où d'autres ne verraient que des problèmes. Bernard n'est pas un enfant gâté. Il se déplace, par ses propres moyens, à pied ou à vélo. Il ne part pas en vacances qui sont perçues comme inutiles tant il y a à faire. En tant qu'aîné - il a un frère et une soeur plus jeunes que lui - c'est sur lui que repose la charge d'aider aux travaux de la ferme en rentrant de l'école où il va jusqu'en 4°. Durant cette période une porte s'ouvre : le directeur du collège veut l'envoyer dans une école de fromagerie. Mais la porte se referme aussitôt faute d'argent et faute, pour son entourage, d'avoir la capacité de monter un dossier pour une bourse. Aussi s'oriente-t-il vers une formation en alternance qui satisfait son goût pour les choses techniques et à l'issue de laquelle il obtient son brevet d'aptitude agricole. Il veut être agriculteur mais, conscient qu'il n'y a pas de place pour lui sur l'exploitation familiale, il part gagner de l'argent ailleurs mettant un point d'honneur à faire quelque chose. Il travaille pour la CUMA, il bêche des jardins, il élève des lapins.

 

Moderniser les pratiques agricoles

 

Sa vie est encore en projet lorsque, à dix-neuf ans, il est violemment propulsé dans la réalité du monde des adultes par le décès brutal de son père dans un accident de tracteur. Le bouleversement est majeur mais Bernard l'assume sans se poser de questions et retourne s'occuper, à plein temps, de l'exploitation familiale où il prend la place de ce père disparu. Pendant trois ans il y travaillera en tant qu'aide familial jusqu'au départ de sa mère et de ses frères et soeurs qui aménagent dans une autre commune. Il s'installe alors en tant qu'agriculteur. S'il poursuit l'activité telle qu'elle est, il y applique sa propre couleur, sa propre volonté d'intensification de la production, son propre attrait pour la technique qui le conduit tout au long de sa vie à améliorer sa pratique. Il y applique également son propre désir d'être un agriculteur de son temps, sa propre exigence de ne pas être en retard sur la modernité.

À vingt-cinq ans, alors qu'il est jeune marié et partage avec son épouse, qui a le statut de conjoint col-laborateur, le travail de la ferme il a déjà derrière lui l'expérience de la gestion d'une exploitation. Loin de se contenter d'une vie centrée sur lui-même, il s'engage dans l'action syndicale. Il s'implique, en tant que Président des Jeunes Agriculteurs de son canton, sur un plan idéologique, en défendant le monde agri-cole à travers des concepts tels que le développement de l'agriculture, la formation des hommes et la solida-rité, tout en usant d'un oeil comptable qui cherche l'équilibre et qui permet de rester lucide. Son action se décline également de façon très pratique lorsqu'il passe des heures entières à remplir des déclarations de TVA et autres dossiers administratifs pour d'autres agriculteurs.

 

Son entrée à la MSA

 

Il vit directement, dans sa vie professionnelle et dans sa vie publique, les changements qui affectent alors le monde agricole qui intègre encore les effets de l'après-guerre. Les fonds distribués grâce au plan Marshall ont permis une modernisation de l'agriculture tandis que la loi d'orientation Pisani dé-clenche le passage d'une agriculture de type autar-cique à une agriculture de production. Des mesures accompagnent ces mouvements. Il en ira ainsi de l'indemnité viagère de départ qui facilite d'une part l'installation des jeunes en encourageant les plus an-ciens à laisser la place et d'autre part l'agrandissement des exploitations pour améliorer la productivité. L'Europe est là aussi, ayant un effet parfois traumatique comme lors de l'annonce de la mise en place des quotas laitiers qui, cependant, au cours de leurs trente ans d'existence, ont fini par être acceptés pour enfin susciter un certain attachement.
Bernard décide de faire son entrée à la MSA un peu avant le vote des lois de décentralisation Defferre qui confient aux départements la maîtrise du social. Cette décision est le résultat d'une volonté de s'investir dans une institution qu'il a déjà vue à l'oeuvre et dont il mesure la réelle importance dans la vie d'un agriculteur.

Il évoque clairement le souvenir d'une enfance où il n'y avait pas d'assurance sociale à la maison et où appeler le vétérinaire pour soigner un animal était moins problématique que d'appeler le médecin pour soigner un membre de la famille. L'influence de ce souvenir est renforcée par son expérience en tant que trésorier d'une caisse locale de Groupama qui a fini de développer sa conscience de la nécessité de pouvoir bénéficier d'une protection sociale correcte.

 

Le siège de la MSA transféré de Nantua à Bourg-en-Bresse

 

Bernard est bien placé pour savoir que le monde agricole est entré dans le système de protection sociale à reculons parce que les agriculteurs trouvent cela trop onéreux et que, habité par les relents de l'autarcie, ils le pensent d'une utilité réduite. Qui mieux, en effet, qu'un agriculteur est capable de se nourrir tout seul ? Mais Bernard est convaincu que la MSA est chargée d'une mission de service public profitable à tous, conforme à ce qu'il souhaite pour sa profession et qu'à travers l'action sociale - qui est le domaine d'intervention privilégié des administrateurs - il va pouvoir se rendre utile et faire évoluer les mentalités.
Il dégage le temps nécessaire à l'exercice de cette fonction - qui vient s'ajouter à celle de Ppésident de coopérative d'approvisionnement et de président d'EHPAD - en bénéficiant du soutien actif et moral de son épouse, en sollicitant de temps en temps le service de remplacement et en travaillant le week-end et la nuit si nécessaire. Ce dévouement à la cause collective, assorti d'une ambition d'aboutir, n'a jamais tiédi et a permis à Bernard d'être un témoin direct des changements qu'a connus la MSA mais également le monde agricole.

De 1990 à 1994 il vit le transfert du siège social de la MSA - qui est encore la MSA de l'Ain - de Nantua à Bourg en Bresse. L'idée germe suite au rap-port de sécurité des pompiers qui, en raison de la vé-tusté des bâtiments, en préconise la fermeture. Ça cas-sait la baraque, dit Bernard évoquant les remous pro-voqués par cette décision qui rompait avec la tradition historique de la MSA et les habitudes des personnes concernées. En même temps il s'en construisait une autre, de baraque, ailleurs certes, mais plus belle et plus adaptée aux besoins des adhérents et des salariés. L'esprit de conciliation présidant, des solutions - dont le maintien d'une antenne à Nantua - ont été trouvées pour atténuer les conséquences, les plus difficiles à accepter, de cette mutation. Le basculement a finale-ment lieu et se passe bien.

 

Le fusion des MSA de l'Ain et du Rhône


Un autre bouleversement, venu du législateur celui-là, intervient à la même époque et secoue le monde agricole. Il concerne l'assiette des cotisations sociales. Le revenu cadastral, indicateur foncier et fis-cal dont l'utilisation n'est pas une garantie d'équité, est prévu pour être remplacé, par paliers, par les reve-nus de l'exploitation. Bernard vient de participer acti-vement au remembrement de sa commune. Au-delà de la réorganisation parcellaire qui a assuré le désencla-vement des terrains, la suppression d'un nombre no-table de barrières, la diminution des surfaces délais-sées et l'accès à l'eau pour tous, c'est la conséquence de cette réorganisation des unités de production ayant abouti à leur classement uniforme en classe 2 qui revêt le plus d'importance à ses yeux. Le système du revenu cadastral a ainsi perdu de son pouvoir sur les agriculteurs comme il le perd dans la réforme sur les cotisations laquelle permet le rétablissement d'un certain équilibre entre les régions du département.

La fusion intervenue entre la MSA de l'Ain et la MSA du Rhône, qui donnera naissance à la MSA Ain-Rhône telle qu'on la connaît aujourd'hui, est à classer dans les premiers rangs des évènements ayant impacté la vie de cette institution, de ses adhérents et de ses administrateurs. Cette fusion ressemble, au départ, à un mariage forcé, imposé par les autorités tutélaires à deux futurs conjoints qui ont davantage conscience de ce qui les oppose que de ce qui les rapproche. Malgré les contestations la fusion a lieu et l'harmonisation des philosophies, des histoires, des modes de fonctionne-ment, des réponses aux besoins parfois différents, se produit. Elle se met en place grâce à l'action sanitaire et sociale relevant des administrateurs au sein d'un conseil d'administration qui connaît une nouvelle co-habitaion, apprend à la dépasser et continue à agir dans l'intérêt du monde agricole.

 

Mieux vaut prévenir que guérir

 

Bernard est particulièrement sensible au rôle joué par la MSA dans le domaine de la prévention des risques et de l'amélioration des conditions de travail. La mécanisation a diminué la pénibilité générale du métier d'agriculteur. L'intervention régulière de la MSA sur les risques professionnels et les atteintes à la santé - tels que ceux liés aux poussières, au bruit, aux produits chimiques, au port de charges - qui étaient méconnus ou négligés par le passé, a permis une diminution des accidents de travail. Les préconisations de Bernard sont simples : la prévention doit être un credo et l'institution doit toujours se poser des questions lors-qu'un accident survient.

Faisant preuve de sa lucidité habituelle, Bernard déplore que, parfois, les situations sur lesquelles un accompagnement se met en place soient difficilement réversibles. Si les administrateurs peuvent agir pour tenter de l'améliorer, ils ne peuvent pas aller contre le fait que l'agriculture est une industrie lourde où l'enracinement et l'ancrage du passé peuvent ralentir, voire interdire, la capacité de réaction et d'adaptation des intéressés. Il faut savoir regarder les choses en face pour pouvoir constater si l'acte posé est positif et, en fonction de ce constat, poser d'autres actes.

 

Le sauvetage de la coop

 

Cet état d'esprit pragmatique, qui peut paraître sévère, s'est avéré extrêmement efficace lors de la crise que connaît la coopérative laitière dont il est adhérent. Le constat est pourtant sans appel : il n'y a plus d'argent. Les cent-soixante familles qui dépendent directement de cette coopérative sont en difficulté. Bernard n'attend pas la réalisation des catastrophes qui s'annoncent pour agir. Il saisit la MSA de l'affaire et obtient la vérification de l'ouverture des droits pour tout le monde, des délais de paiement pour les cotisations patronales et une aide financière de 150 000 euros correspondant à la prise en charge partielle des cotisations des adhérents. Au final la coopérative est sauvée et tous les adhérents restent adhérents de la coopérative et par conséquent de la MSA, ce qui veut tout dire. Ce sauvetage fait partie des aventures sociales qui se terminent bien et permet à Bernard d'asséner l'une de ses vérités consistant à affirmer qu'on ne se rappelle que de l'argent que la MSA prend à ses adhérents là où on devrait se souvenir de l'aide qu'elle apporte.

Cette action que Bernard préfère mener de de-dans plutôt que de dehors, sa position d'administrateur, cet engagement dans la défense des intérêts du monde agricole et des agriculteurs qui dure depuis plus de quarante ans font de lui une de ces sen-tinelles de la campagne - au même titre que les techni-ciens des coopératives dont il souligne le rôle indis-pensable - et lui donnent une vision nette de ce qui se passe, vision enrichie par le recul procuré par son ex-périence et un passé institutionnel et personnel parfois mouvementé.

Il exprime sans détours son désaccord avec le discours anti-modernité avancé par les tenants d'un retour à l'ancien qu'ils n'ont pas connu alors que le monde agricole s'est battu pour améliorer son sort et qu'aujourd'hui un agriculteur doit aussi avoir des ta-lents d'informaticien pour être compétitif. Il constate un désengagement des jeunes agriculteurs s'agissant de la vie des institutions, comme la MSA, qui sont à leur service et dont l'éventuelle disparition laisserait le monde rural sans protection. Il décrit une perte du sens de l'entraide qui, dans le passé, faisait partie du mode de fonctionnement normal des exploitations et était basé sur l'échange de travaux. Désormais, il est limité par la mesure du temps passé chez l'autre et cette entraide n'est plus toujours gratuite.

Mais Bernard Bouilloux est un agriculteur dans l'âme qui, malgré les évolutions, les révolutions, les changements de décor, de législation et de mentalité du monde agricole, reste déterminé à agir pour le mieux-être des agriculteurs en continuant à servir l'intérêt général au profit du plan grand nombre, au sein de la MSA.

La MSA, bâtie sur le principe selon lequel on cotise selon ses moyens et on reçoit selon ses besoins, a été pour lui une école en ce qu'elle lui a donné l'opportunité de beaucoup apprendre et de satisfaire son insatiable besoin de comprendre. Elle a été égale-ment une tribune pour ce citoyen aux convictions fortes et clairement exprimées dont l'histoire n'est pas aussi banale qu'il l'affirme.