Agriculteurs, faites entendre votre voix dans vos communes
Dans l’Ain, comme ailleurs, le nombre d’agriculteurs élus dans les conseils municipaux diminue, reflet d’une ruralité en mutation. Pourtant, leur expérience du terrain reste essentielle dans les questions liées à l’urbanisme et la préservation du foncier agricole, l’environnement et l’alimentation locale. Un appel clair aux agriculteurs : engagez-vous pour défendre vos communes et vos territoires.
Pour Jean-Yves Flochon, président de l’AMF de l’Ain, la voix des agriculteurs dans les conseils municipaux est essentielle : il les encourage à s’engager pour défendre leur territoire et leur profession. Entretien.
Quel regard portez-vous sur la présence du monde agricole dans les conseils municipaux de l’Ain ? Dans l’Ain, 6 % d’agriculteurs et de retraités agricoles sont investis dans les conseils municipaux, contre 10 % au niveau national. Peut-on parler d’effritement de leur poids politique local ?
Jean-Yves Flochon : L’évolution du nombre de maires agriculteurs est le reflet de l’évolution de notre département. Celui-ci conserve une dimension rurale forte, un secteur agricole qui reste dynamique, mais la ruralité n’est plus le seul apanage de l’agriculture. 6% d’élus agriculteurs reste toutefois un chiffre significatif, d’autant que les chefs d’exploitation qui ont cessé leur activité sont comptabilisés parmi les retraités.
Il faut aussi regarder l’évolution plus générale de la composition des conseils municipaux. On trouve, d’une façon générale, moins de chefs d’entreprise qu’auparavant. Il y a moins de dirigeants qui acceptent de s’investir, consacrant leurs efforts à la vie et au bon fonctionnement de leur société. C’est aussi le cas des exploitants agricoles, aujourd’hui souvent mobilisés par des structures d’exploitation beaucoup plus grandes qu’avant, et qui, de fait, sont prudents avant de s’engager dans une fonction municipale.
Enfin, il faut aussi regarder le verre à moitié plein. Il reste encore de nombreux maires agriculteurs, et nous ne pouvons, au sein de notre association départementale que nous en féliciter.
Qu’apportent les agriculteurs aux conseils municipaux, en termes de vision du territoire, d’aménagement, d’environnement ? Leur connaissance du terrain et des enjeux fonciers est-elle un atout dans la gestion communale ?
J-Y. Flochon : On parle aujourd’hui beaucoup de sobriété foncière et de préservation des espaces agricoles. Ce sont des enjeux importants à l’échelle d’une nation, ou d’un département comme le nôtre. La présence d’agriculteurs dans un Conseil permet d’avoir un éclairage plus pragmatique. Leur participation aux travaux engagés, notamment sur les documents d’urbanisme, permet le plus souvent de concilier les enjeux à la fois de développement des communes, sur le plan économique, démographique, pour répondre aux besoins de nouvelles infrastructures ou équipements, tout en veillant à préserver l’avenir des exploitations en place.
Il en va de même pour certains sujets environnementaux, où la réalité liée à la responsabilité de l’agriculture n’est pas toujours celle que certains veulent lui faire endosser. Leur éclairage est donc essentiel dans le cadre d’un dialogue qui doit faire préserver l’avenir des exploitations. Les maires savent qu’ils ont besoin d’agriculteurs pour assurer l’entretien de leur territoire communal et le faire vivre. Il est important que ces derniers soient autour de la table pour défendre leur profession.
Selon vous, quel rôle les agriculteurs peuvent-ils jouer face aux transitions en cours (écologique, énergétique, alimentaire) ?
J-Y. Flochon : Les agriculteurs, en général, ont un rôle très concret à jouer sur ces sujets. Quand on parle de transition alimentaire ou écologique, ils sont au cœur du sujet de par la réalité d’une profession en constante évolution. Si on prend l’exemple de l’eau, sujet essentiel aujourd’hui sur l’ensemble de notre territoire départemental, les élus agriculteurs doivent à la fois défendre leur profession, et accepter des évolutions. La protection des nappes phréatiques, des captages d’eau potable, doit se faire avec la profession agricole, et non contre cette dernière. Il faut donc qu’elle soit présente autour de la table au sein des syndicats des eaux ou de rivière pour participer aux débats, faute de quoi, le risque est grand de voir un certain dogmatisme prendre le pas sur certaines réalités.
Et puis n’oublions pas l’alimentation, et notamment celles des scolaires dans nos cantines municipales. Les élus agriculteurs ont un rôle à jouer pour la défense d’une alimentation de qualité et faire en sorte que cette dernière puisse réserver une part significative aux produits locaux ou sous signe de qualité.
Y a-t-il des exemples concrets de projets locaux portés ou inspirés par des élus issus du monde agricole ?
J-Y. Flochon : Dans un département qui a compté des élus agriculteurs très influents, et je pense par exemple il y a quelques années à des personnalités comme purent l’être Pierre Cormorèche à Montluel, Jean Merle à Montracol ou encore Pierre Fromont à Viriat, l’évolution de leur territoire a été marquée par leur engagement professionnel. Aujourd’hui, actualité oblige, l’avenir des EPR dans l’Ain et le développement de la Plaine de l’Ain doit beaucoup à une personnalité comme celle de notre collègue de Blye Daniel Martin. Il n’a rien perdu de son passé de syndicaliste agricole, mais il œuvre aussi pour l’avenir de son territoire.
On pourrait multiplier les exemples en citant le rôle du maire de Jayat au service du foirail de Bourg-en-Bresse, de nos collègues de Mionnay ou de Cize au service de l’agriculture biologique, de notre collègue de Saint-Jean-de-Gonville sur les sujets de l’eau au Pays-de-Gex….
Et n’oublions pas par le passé les maires agriculteurs qui se battirent, parfois contre vents et marées pour remembrer leur territoire.
Quelles mesures pourraient encourager davantage d’agriculteurs à s’impliquer dans la vie communale ? L’AMF 01 mène-t-elle des actions spécifiques de sensibilisation ou de soutien à cet engagement ?
J-Y. Flochon : On parle beaucoup du statut de l’élu. C’est un sujet qui concerne toutes les professions, et pas seulement les salariés. L’AMF, au niveau national, s’est beaucoup mobilisée, et dans le contexte que l’on connait pour faire avancer ce dossier, et le faire aboutir avant les prochaines municipales. J’y vois un signe positif, y compris pour encourager les agriculteurs à s’investir dans ce cadre.
L’année dernière, dans le cadre de l’assemblée des maires de France, à Paris, notre président David Lisnard, avait pris l’initiative de réunir les maires agriculteurs pour échanger avec eux et partager leurs préoccupations et souhaits sur le dossier du statut de l’élu. Cette initiative avait été appréciée, et elle a montré l’attachement de notre association à cette représentation professionnelle.
Dans l’Ain, nous faisons beaucoup en termes de formation et d’information, de sorte que chacun puisse se sentir capable d’assumer une fonction municipale. Ces formations gratuites, ouvertes à tous les élus sont pour nous essentielles.
Comment les communes peuvent-elles mieux valoriser l’expertise du monde agricole dans leurs décisions (urbanisme, environnement, alimentation locale) ?
J-Y. Flochon : Là encore, on touche à la capacité du monde agricole à se mobiliser, et à encourager des agriculteurs à conduire des listes aux municipales. Car ensuite, dans le cadre des délégations confiées par notre association départementale, nous pourrons les mobiliser au service des politiques que vous évoquez. L’AMF est partie prenante de nombreuses commissions départementales comme, par exemple, la commission départementale pour la protection des espaces agricoles et forestiers (CDPNAF). Ce sont des instances à la fois de réflexion et décisionnelles où nous pouvons assurer la présence d’élus agriculteurs…. Sous réserve qu’il y ait bien-sûr des candidats pour porter ces responsabilités. Et s’agissant de tous les sujets, l’AMF est sollicitée sur quasiment tous les dossiers, qu’il s’agisse de l’eau, du loup ou encore de l’évolution des carrières. Bref, les sujets ne manquent pas.
Comment voyez-vous l’avenir de la représentation agricole dans les conseils municipaux à moyen terme ? Et si vous aviez un message à adresser aux agriculteurs hésitant à s’engager, quel serait-il ?
J-Y. Flochon : L’érosion constatée, va forcément se poursuivre. Il a moins d’agriculteurs, et ils seront forcément moins nombreux à être candidats demain. Je peux prendre pour exemple ma commune, qui n’a plus de siège d’exploitation depuis bien longtemps. Et ce n’est sans doute aujourd’hui pas la seule.
Il faut donc que la profession agricole, mais aussi nous au niveau de l’AMF, faisions partager l’importance de cette participation. Et nous concernant, j’ajouterais simplement que la fonction est parfois lourde, mais qu’elle reste passionnante et exaltante.
Patricia Flochon
Noël Piroux : 7 mandats au service de Pirajoux, entre passion agricole et engagement citoyen
À 71 ans, Noël Piroux regarde en arrière sur une vie dédiée à son territoire et à ses concitoyens. Ancien agriculteur, maire depuis six mandats, il témoigne de l’attachement qu’il porte à sa commune et invite chacun à s’engager pour préserver la vitalité locale. Entre héritage familial, passion pour la mairie et défis agricoles, son parcours est un exemple.
Ancien agriculteur, Noël Piroux, a consacré sa vie à son métier d’éleveur (polyculture-élevage) et à ses concitoyens. Il témoigne de son attachement à son territoire et à sa commune : « J’ai 71 ans. Je suis né à Pirajoux. Mon grand-père a été premier adjoint. Mon père était conseiller municipal. C’était en quelque sorte un héritage. C’était presque une évidence de m’engager, que je le soit comme ils l’ont été avant moi. C’est mon 7ème mandat ; un en tant que conseiller municipal et six en tant que maire ». Le tableau est dressé.
« La mairie, c’est un peu une passion »
Un engagement passionnant mais aussi synonyme de sacrifices. « Durant toutes ces années, la mairie, c’était un peu une passion. J’étais en exploitation individuelle, ça na pas toujours été évident de conjuguer les deux. Quand on est agriculteur, à son compte, on est son propre patron. On peut se libérer plus facilement. C’est un avantage, mais c’est aussi un inconvénient… », confie-t-il. Il se remémore : « Parallèlement à cela j’ai été président de l’association foncière. Au moment de la construction de l’autoroute, il a fallu faire un remembrement, et lorsque l’autoroute a coupé le territoire j’ai participé, j’ai même été à l’origine de la restructuration foncière, défendant les intérêts de la profession agricole ».
Sur la commune de Pirajoux, demeurent aujourd’hui quelques sièges d’exploitations agricoles… « Lorsque je me suis engagé, il y en avait dix fois plus. Au début, presque tous les conseillers municipaux étaient des agriculteurs. Puis avec le temps beaucoup de petites exploitations, jugées non viables, ont peu à peu laissé place à l’agrandissement d’autres fermes », ajoute-t-il tout en émettant le regret de ne plus avoir sur sa commune de sièges d’exploitations de production de lait à Comté ou d’élevage de volaille de Bresse.
« Il ne faut pas hésiter à s’engager »
S’il avait un message à faire passer inciter d’autres concitoyens, agriculteurs ou non, à s’engager ? « Je leur dirais que c’est une fonction passionnante. Qu’il ne faut pas hésiter à s’engager. Mais il faut un conjoint ou une conjointe qui accepte les choses, car c’est très prenant. Il faut vraiment être passionné. Et j’ai eu la chance d’être à la tête d’une commune qui ne connaît pas de problèmes majeurs qui risquent comme parfois de mettre le maire dans une position délicate juridiquement ».
Patricia Flochon
Maire et agriculteur : « Le métier permet de garder les pieds sur terre »
Entre son exploitation et la mairie, Stéphane Martinand mène deux vies qui se répondent. Maire et éleveur, il incarne une ruralité vivante, ancrée dans le bon sens paysan. « Le métier d’agriculteur, confie-t-il, permet de garder les pieds sur terre. »
Stéphane Martinand, éleveur laitier (lait à Comté) termine son 2ème mandat de maire de la commune de Champdor-Corcelles. Située au cœur du plateau d’Hauteville, dans le Haut-Bugey, cette commune rurale de 670 habitants conserve une dynamique agricole confortée par la présence de sept sièges d’exploitations, en majorité laitiers, et deux élevages bovins allaitants. Lorsque je l’interroge sur les motivations qui l’ont conduit à s’engager en politique, il répond naturellement : « Mon père déjà était un élu. Il était adjoint au maire. Lorsqu’il a choisi d’arrêter, j’ai été sollicité. Je me suis engagé pour maintenir des agriculteurs au sein de notre conseil municipal. Car qui mieux que les agriculteurs pour défendre la ruralité et participer à l’attractivité et au développement de ma commune. Nous sommes 19 élus, dont un agriculteur au sein du Conseil ».
Adjoint de 2008 à 2014, Stéphane Martinand est ensuite élu maire. Exploitant agricole et maire, deux « vies » faciles à concilier ? Rien d’insurmontable selon l’élu : « J’ai 70 vaches laitières, et un salarié sur l’exploitation. J’alterne les deux rôles plusieurs fois dans la journée ». Quant aux enjeux et défis à relever sur son territoire, il commente : « C’est un territoire de moyenne montagne. Historiquement une commune forestière, mais avec l’évolution du climat et ses conséquences (développement des scolytes, etc.), ce n’est plus la première ressource de la commune. Nous avons aussi des carrières, exploitées pour répondre aux besoins en pierre marbrière et granulats ». Et d’ajouter : « Nous avons participé à l’installation d’un jeune agriculteur en 2023, qui a repris une ferme allaitante pour faire du lait. Nous lui louons des terrains communaux en complément ».
Sur le volet du « foncier », l’enjeu est de taille : « Haut-Bugey Agglomération révise son PLU. Il faut se battre pour conserver du terrain constructible (2,8 ha sur 3 000 ha) pour se développer et conserver nos écoles ».
A la question : les habitants non agricoles comprennent-ils encore bien la réalité du métier, il répond : « L’activité agricole est pleinement tolérée par les habitants. Il n’y a pas de conflits entre population et activités rurales. C’est heureux car on est déjà assez accablés cette année par la dermatose nodulaire contagieuse et les attaques de loups ».
Agriculteur et fier de l’être, Stéphane Martinand assure que le bon sens paysan est une valeur sûre : « Être maire et agriculteur, ça permet de garder les pieds sur terre quand on est en activité, même si c’est parfois compliqué de concilier les deux. Je suis aussi vice-président du SIEA(1) ; c’est enrichissant à titre personnel ».
Son regard sur l’avenir ? « Je suis d’un naturel optimiste. La France est un beau pays, avec de nombreux atouts. Pour ce qui est de l’avenir de l’agriculture, dans nos zones AOP(2) cela facilite encore des installations. Les agriculteurs, comme les autres, aspirent à gagner leur vie et ça passera par une rémunération plus élevée de leurs produits. C’est une question de souveraineté alimentaire ».
(1) Syndicat intercommunal d’énergie et de e-communication de l’Ain.
(2) Appellation d’origine protégée.
Patricia Flochon