VIRIEU-LE-PETIT

Ce 1er projet de création depuis l’instauration de l’AOC Comté il y a 60 ans séduit les habitants, les financeurs et même la radio publique nationale. La fruitière coopérative du Valromey verra le jour en 2020

Les éleveurs du Valromey livraient jusqu'à présent leur lait à la fromagerie Guilloteau à Belley qui le valorisait relativement correctement. Ils sont révoltés contre le projet du groupe Agrial qui vient de racheter Guillotteau et veut payer le lait au même prix dans toute la France, sans tenir compte de la spécificité du Valromey, avec des coûts de production d'environ 15% plus élevés qu'en Normandie, mais un lait de bien meilleure qualité, des animaux qui pâturent jusqu'à dix mois par an et sont nourris au foin l'hiver. Pour Victoire Vuaillat, agricultrice au Grand Abergement, « Avec Guilloteau, des arrangements étaient possibles. Aujourd'hui, nous sommes un pion dans une masse coopérative qui bénéficie d'avantages fiscaux, mais qui a oublié à quoi elle sert ». « Nous sommes devenus des esclaves d'Agrial », ajoute Jean-Baptiste Vignand de Brénaz.

Première création depuis l'obtention de l'AOC Comté

Treize éleveurs du syndicat des éleveurs laitiers du Valromey, et peut-être bientôt une quatorzième, dont quatre en agriculture biologique, ont donc décidé de prendre leur destin en main et de créer une fruitière coopérative pour transformer leur lait en Comté. 28 familles sont concernées, auxquelles s'ajoutera la création de cinq emplois. Le Comité interprofessionnel de gestion du Comté a donné son aval. C'est la première fois qu'une nouvelle fruitière à Comté est créée depuis la reconnaissance de ce fromage en AOC en 1958. Le bâtiment sera construit dans la petite zone artisanale située à l'entrée nord de Virieu-le-Petit, le long de la route départementale 69. Ce terrain de presque 10 000 m2 a été préféré à d'autres sites pour la facilité de création d'une station de traitement des eaux blanches et l'absence de nuisances pour le voisinage. Les éleveurs sont sur le point de choisir un architecte et les travaux devraient débuter au printemps ou à l'été 2019 sur une durée d'un an. D'ici là, ils devront investir pour se mettre en conformité avec le cahier des charges de l'appellation l'origine protégée Comté. La reprise en main totale de la valorisation de leur lait leur permet d'être confiants dans l'avenir, malgré les quelques petits obstacles qu'ils ont eu à franchir et un important surcroît de travail. Ce projet remarquable est même remonté aux oreilles de la radio publique nationale France Inter. Philippe Bertrand, dans ses « Carnets de campagne » du 21 novembre dernier à midi et demie, a interviewé en direct Jérôme Berthier, président du syndicat des éleveurs laitiers du Valromey et éleveur à Lochieu, pour lui permettre de raconter cette belle aventure à plus d'un million d'auditeurs.

Un financement participatif pour le magasin

Le montant des travaux est estimé à un maximum de 4,5 millions d'Euros, financés par l'Europe, la Région, le Département, la communauté de communes Bugey Sud et un emprunt. La part des fermes s'élève à 20 € par 1'000 litres de lait livré. Les éleveurs ont par ailleurs bénéficié de l'accompagnement technique de nombreux organismes. Trois millions de litres de lait cru de montagne et de lait cru
« Bio » de montagne par an serviront à la fabrication de 300 tonnes de Comté. La destination des deux millions de litres de lait restants est en cours de discussion avec l'affineur, Seignemartin de Nantua, probablement de la raclette, de la tomme et pourquoi pas un fromage spécifique « Grand Colombier ». La coopérative a lancé un financement participatif pour l'aménagement d'un magasin de vente. L'objectif de 35 000 € a été dépassé il y a dix jours. Plus de 300 donateurs ont participé, des entreprises, des habitants ou des gens originaires du Valromey. Le budget total est estimé à environ 90 000 Euros. Pour le président Jérôme Berthier, « ce magasin sera une réponse à l'engouement de la population pour notre projet, nous l'aménagerons pour offrir un plus, une vitrine sur notre territoire. Il se développera tout doucement, il ne nous rapportera pas d'argent mais permettra de recréer du lien entre les agriculteurs et l'ensemble de la population locale et touristique ».

U.R.

Une nouvelle fruitière, deux cents ans après la première

 

 

 

Le lait était transformé dans des fermes, puis des petites fruitières coopératives, et enfin par des grands groupes qui n’ont de coopératif que le nom.
Au siècle dernier, le Valromey comptait jusqu’à une cinquantaine de petites coopératives fromagères, une par village ou hameau, et même une au col de Richemont. Elles ont été créées à partir de 1820, sur un modèle importé par les éleveurs suisses. On fabriquait essentiellement du Gruyère, puis du Comté. Dans les fermes, parfois dans les fromageries du Haut-Valromey et du plateau de Retord, on faisait aussi du Bleu semblable au Bleu de Gex Haut-Jura actuel. Jusqu’à la première guerre mondiale, les éleveurs se relayaient pour travailler dans les fruitières. Des fromagers professionnels se sont installés par la suite. Certaines d’entre elles ne fonctionnaient pas l’hiver, faute d’assez de lait. Dans tout le Haut-Bugey, chaque famille d’éleveurs possédait alors cinq ou six vaches. La production du Comté s’est arrêtée dans le Valromey dans les années 1970, la majorité des éleveurs ayant choisi la filière du lait standard. La dernière fruitière, celle de Ruffieu, créée en 1830, a fermé en 1991. Trente ans plus tard, une fromagerie traditionnelle de montagne va renaître à Virieu-le-Petit, pour une retour à la valorisation locale d’un produit de qualité, et un prix du lait supérieur à celui obtenu par les circuits longs des grands groupes de l’industrie laitière.