HISTOIRE
Centenaire 14 -18 : les campagnes de l’Ain dans la grande guerre

Les campagnes de l’Ain ont largement payé leur tribut à la Grande Guerre. Des hommes au front, des femmes qui tiennent courageusement la ferme... Une douleur partagée attestée par des témoignages bouleversants.
Centenaire 14 -18 :   les campagnes de l’Ain dans la grande guerre

La campagne de l'Ain

Août 1914 sonnent les tocsins et les cloches de la mobilisation générale. Près de quatre millions d’hommes entre 20 à 40 ans sont sur le pied de guerre, pour moitié des paysans, cultivateurs ou artisans (charrons, bourreliers, maréchaux-ferrants …). Mauvaise nouvelle à l’heure des moissons, d’autant plus que le service de remonte militaire réquisitionne les chevaux. Alors on se mobilise autant pour les travaux des champs, les femmes, les vieux et aussi les enfants, l’inspecteur d’académie de l’Ain se plaignant dans un rapport au préfet des trop bons résultats de l’école buissonnière ! Les Poilus veillent quand même au grain, ainsi Jules Taravel de Charix qui écrit à sa mère : « Tu ne me parles pas si les vaches ont fait le veau. Maintenant que vous n’avez plus de neige, Claudius peut commencer à faire du bois … Quant au blé, tu peux en mettre à la croix, c’est bien là le plus facile ; enfin fais comme tu pourras.» Parfois sont accordées des permissions agricoles, c’est que l’armée est gourmande en blé quand une demi-miche de 700 grammes de pain nourrit le quotidien de chaque soldat. Malgré les efforts de chacun et l’entraide mutuelle, les surfaces cultivées et les rendements baissent dans l’Ain, à tel point que la société départementale d’agriculture lance un appel : les  importations de produits agricoles provoquent des exportations massives de numéraires et immobilisent quantité de vaisseaux et wagons qui seraient utiles à la guerre, alors « semons du blé de printemps, augmentons nos semis de pommes de terre. » Peine perdue, les terres ensemencées en blé baissent encore de 81 000 à 66 000 hectares entre 1916 et 1917 et la production de 451 000 quintaux se voit réduite de moitié depuis le début du siècle. Et l’intendance militaire qui réquisitionne bétail et fourrage, sans oublier le pinard qui réchauffe les âmes des combattants mais dont le prix d’achat mécontente les vignerons du Bugey et du Revermont. Travailler à la campagne offre alors un seul avantage, manger à sa faim et se chauffer la couenne quand les autres sont au régime des carnets alimentaires et des cartes de charbon.
Alors que s’achève ce 11 novembre le Centenaire, souvenons-nous de cette guerre industrielle gagnée par le sang versée de 700 000 hommes de la terre.

  Source : Des champs de blé au champ d’honneur, l’Ain dans la Grande Guerre            
  (André Abbiateci)

 

Les lettres de Césarine

13/09 1914, 4 heures du matin : « Mon cher Joseph. J’ai reçu une carte hier matin, ça donne du courage. C’était pour moi une bonne journée hier. Les Maréchal sont venus arracher le reste des pommes de terre. J’avais les dames Razurel et Ravassard pour les ramasser et le cousin qui est venu labourer pour semer des pesettes.»
1/10 1914, 8 heures du soir : « Demain vendredi, je t’enverrai le colis promis, je mettrai un mouchoir, un foulard et un petit saucisson. Il ne fait pas beau chez nous non plus. Ce matin il a gelé mais dans la journée il fait beau. J’ai encore du maïs à ramasser. J’ai envie de garder les cochons encore 8 jours, ils sont plus jolis.»
4/11 1914, 5 heures du matin : « Je ne suis pas paresseuse à me lever surtout quand il s’agit de venir causer avec toi. Tu me dis que tu n’es plus en danger en Alsace. C’est l’heure d’aller affourer. J’appréhende car il pleut tellement ce matin. Quand il pleut, comme on pense à ces pauvres soldats qui couchent dans les tranchées. »
20/11 1914, 7 heures du soir : « Je t’avais promis de ne plus te redire mes ennuis, je veux tout de même te raconter. J’ai rêvé que tu étais revenu et que je t’avais commandé de faire quelque chose. Tu as repris la porte et tu es reparti. Je me suis donc réveillée en pleurant, c’était à peine trois heures, impossible de dormir. Quand Nénette s’est réveillée, elle n’avait pas dormi son compte, et le froid, toute la journée à pleurer et faire des caprices. Ce soir, j’ai été obligée de la corriger pour de bon, et ensuite je pleure autant qu’elle. Elle m’a embrassé me disant qu’il ne fallait plus pleurer. »
3/12 1914, 9 heures du soir : « Avant de me coucher, je viens causer un petit moment avec toi. Mon père est venu et couche ici pour mener mes six poulets au marché demain. Victor et Alexandre sont venus labourer. Je suis allée devant un petit moment, car depuis longtemps les vaches n’avaient pas labouré. C’est demain que je vais être belle au marché, je vais mettre un corsage neuf. Il faut espérer que tu reviendras sans bouc avec une grande moustache comme j’aime et que tu seras beau garçon.»
12/12 1914, 7 heures du soir : « J’ai peur de ne pas avoir assez de foin et la paille va manquer. Le cousin me disait que si la génisse demandait les bœufs tous les 8 jours, il fallait l’engraisser un bon mois et que ça allait suffire car elle se porte bien et on aurait la chance de la vendre 40 francs. »
30/12 1914, 5 heures du matin : « Je souhaite que la guerre finisse mais je crois qu’on parlera de la fin quand tout le monde sera tué. »
Joseph revint indemne en janvier 1919 et décéda à l’âge de 82 ans, onze jours avant Césarine qui le retrouva bien plus vite cette fois-ci.

  Source : Correspondances de guerre entre Césarine et Joseph Pachoux de Mézériat
  Photo de Jean-Baptiste Tournassoud officier photographe natif de Montmerle

L’histoire courte d’un conscrit

Claude Parron a 20 ans quand il quitte la ferme familiale de Villeneuve pour faire ses classes au camp de Valdahon. Il perçoit son barda de 35 kilos avec livret militaire et carnet de papier à lettres, 2 boîtes de singe et 12 biscuits, trousse à raccommoder et peau de mouton. Nouvel an 1915 dans un train de Mâcon à Berck puis l’hiver passe paisiblement sur le front de Belgique où il admire les belles races de chevaux flamands et de vaches rouges dans ce pays cultivant surtout le blé et le houblon. Avec les beaux jours reviennent les offensives, ce sera le 9 mai dans l’Artois aux côtés d’une division marocaine chargée de prendre le Bois de la Folie ! Au tour de son régiment de marcher en avant et les hommes tombent fauchés par la mitraille, près de 800 morts en moins d’une heure. Son bataillon restant en réserve, il entend à tout instant les cris des mourants qu’il est impuissant à secourir,
« vous ne pouvez pas croire la peine que cela fait de causer avec un camarade maintenant et dire qu’une minute après ce n’est plus qu’un cadavre ; malgré vous en ces moments le froid vous glace de peine et cinq minutes après vous suez malgré vous en étant agités. »
Après douze jours sans pain dans les boyaux des tranchées, faut remettre le couvert en rampant de nuit dans un champ de betteraves, mais c’est sans compter sur les fusées éclairantes, « les balles nous sifflaient comme des mouches autour des oreilles mais malgré cela nous avancions jusqu’à une vingtaine de mètres à peine ou je fus blessé juste au moment où on allait y aller à la baïonnette. »
Une balle dans l’épaule droite, un camarade la lui bande, Claude marche 4 kilomètres et croise des sapeurs du Génie qui lui offrent un œuf avec du pain et deux canons de bière. Arrivé à l’infirmerie, le voilà rassuré, une forte hémorragie mais l’os n’est pas touché. Prochaines étapes en brancard jusqu’à une ambulance puis un train sanitaire l’expédiant dans un hôpital à Pau.
Il y retournera, évacuation l’hiver suivant pour gelure au pied, retour définitif à l’arrière en février 1918 à cause d’une pleurésie chronique. Réformé, sa maladie lui vaudra une gratification de 300 francs dont il profitera bien peu avant de décéder chez lui en août 1919 à moins de 25 ans.


 
Source : Carnet du début de guerre de Claude
  Parron