CONFERENCE
Francis Wolff : « La générosité appar ente cache une dangerosité réelle »

Le philosophe, professeur émérite de l’ENS Paris, a tenu une conférence le 27 novembre à Bourg-en-Bresse, sur le thème : «« du bien-être animal aux mouvements anti-éleva ge ». Interview.
Francis Wolff : « La générosité appar ente  cache une dangerosité réelle »

Le philosophe et essayiste Francis Wolff a animé mardi 27 novembre à Bourg, une conférence sur un thème brûlant de l'actualité baptisée : « du bien-être animal aux mouvements anti-élevage ».

 

Il y a des courants de diverses obédiences. La distinction la plus nette à faire est entre partisans du bien-être animal (les « welfaristes »), autrement dit ceux qui souhaitent améliorer les conditions de l'élevage, et les partisans de l'abolition de toute forme d'élevage (les « abolitionnistes »), comme les militants de L214. Ce courant n'est pas seulement une radicalisation de l'animalisme, mais plutôt une animalisation de la radicalité. Ce sont en effet les héritiers des groupes révolutionnaires de libération des peuples colonisés, des classes exploitées, etc. Les animaux leur paraissent être les dernières victimes en bout de la chaine de l'exploitation. C'est comme si ne pouvant plus libérer le prolétariat, on devait désormais libérer les animaux. Ils bénéficient de la nouveauté d'un mouvement aux allures sympathiques. Mais la générosité apparente cache une dangerosité réelle.

- Ont-ils une réelle influence sur l'opinion ?

Ils bénéficient en effet de deux confusions dans l'opinion. D'une part entre écologie et animalisme : les crises écologiques sont réelles, mais elles nous font croire que tout ce qui est « naturel » est bon – et que l'homme est le super-prédateur, le destructeur d'une nature qui sans lui serait un pays de bisounours. Ils bénéficient aussi de la confusion entre welfarisme et abolitionnisme ; car qui pourrait être contre l'amélioration des conditions de vie des animaux ? Ce qui a une influence sur l'opinion, c'est la dénonciation très médiatisée de quelques scandales liés au non-respect de la réglementation. On en tire parfois l'idée qu'il n'y a pas de réglementation ! Mais l'opinion dans son ensemble n'est pas prête à adopter le mode de vie végane.

- Ces militants placent l'homme et l'animal au même plan. Pourquoi, selon vous, l'homme n'est-il pas un animal comme les autres ?

Il y en a beaucoup de preuves, mais la meilleure est celle que nous donnent les militants antispécistes eux-mêmes. Si nous nous reconnaissons des devoirs les uns vis-à-vis des autres, et notamment vis-à-vis des animaux, c'est que nous sommes des « animaux moraux », et que nous ne sommes pas des animaux comme les autres. Nous avons des normes, des lois, des valeurs et nous savons que nous ne devons pas nous comporter « comme des bêtes » même vis-à-vis... « des bêtes ».

- Est-ce que ces mouvements correspondent à une tendance lourde de la société amenée à s'amplifier, ou s'agit-il d'un épiphénomène conjoncturellement surmédiatisé ?

La tendance lourde, c'est le bien-être animal qui représente un incontestable tournant dans notre sensibilité contemporaine. L'antispécisme et le véganisme demeureront marginaux.

- Les attaques contre les boucheries ou les abattoirs (l'un d'eux a été incendié fin septembre dans l'Ain) bouleversent le monde de l'élevage. Les éleveurs se sentent menacés et stigmatisés comme des criminels vis à vis de leurs animaux.
C'est là le véritable problème qui devrait tous nous mobiliser quelle que soit notre opinion ou notre mode de vie. Que chacun mange ce qui lui plait et se vête comme ça lui chante ! Mais que certains nous imposent leur idéologie totalitaire qui nous priverait de 10000 ans de civilisation aux côtés des animaux domestiqués, c'est cela qui est intolérable. Les véritables victimes ne sont pas les animaux dont ils connaissent mieux que quiconque les besoins et les conditions de leur « bien-être », ce sont les éleveurs !

- L'éleveur a t'il des « devoirs » vis à vis de ses animaux ?

Ils sont clairement énoncés dans le Code rural et la réglementation est de plus en plus exigeante. Que des améliorations soient toujours possibles, c'est évident. C'est aux éleveurs de se faire les porte-parole du bien-être animal.

- Nous vivons une époque paradoxale ou l'on accorde parfois plus d'importance dans le débat public au statut de l'animal qu'à celui de nos congénères. De quoi est-ce révélateur ?

Du fait que nous autres humains, nous ne savons plus qui nous sommes. D'un côté les transhumanistes veulent faire de nous des dieux promis à l'immortalité ; d'un autre côté, les antispécistes veulent faire de nous des bêtes. Je plaide pour un retour à un humanisme éclairé.

Propos recueillis par Etienne Grosjean

Un livre pour approfondir

« Nous avons perdu les deux repères qui permettaient autrefois de nous définir entre les dieux et les bêtes. Nous ne savons plus qui nous sommes, nous autres humains. De nouvelles utopies en naissent. D’un côté, le post-humanisme prétend nier notre animalité et faire de nous des dieux promis à l’immortalité par les vertus de la technique. D’un autre côté, l’animalisme veut faire de nous des animaux comme les autres et inviter les autres animaux à faire partie de notre communauté morale.
Alors forgeons une nouvelle utopie à notre mesure. Ne cherchons plus à nier les frontières naturelles — celles qui nous séparent des dieux ou des animaux — et défendons un humanisme conséquent, c’est-à-dire un cosmopolitisme sans frontières. »
C’est le synopsis du dernier essai de Francis Wolff, édité chez Fayard et baptisé « Trois Utopies contemporaines ».
Disponible dans toutes les librairies.