MOBILISATIONS
Quatre cents agriculteurs et 185 tracteurs mobilisés dans l’Ain
De mémoire des plus anciens, des manifestations de cette ampleur n’avaient pas eu lieu depuis au moins vingt ans dans le département. En moins d’une semaine, les agriculteurs de l’Ain se sont mobilisés, non pas une, ni deux mais trois fois pour défendre leur métier.
La brise de colère est devenue vent. De l’Occitanie, elle a gagné l’ensemble du pays. Depuis plusieurs semaines déjà, les agriculteurs manifestent, à bout de souffle, pour plus de reconnaissance. Puis, la semaine dernière, l’Ain a rejoint le mouvement à l’initiative de la FDSEA et des JA du département. Il ne pouvait en être autrement. « Pas un seul département de notre région n’est pas sorti et pas une seule région de France est restée dans sa ferme », scandait Jonathan Janichon, président de la FDSEA de l’Ain, lors du blocage de l’A42 jeudi dernier.
Certes, d’aucuns estiment que les agriculteurs auraient pu, ou dû, se mobiliser depuis bien longtemps. Mais comment ne pas saisir de cette continue remise au lendemain la résilience d’une profession désormais arrivée à bout de souffle face à des revendications latentes depuis des mois. Ces mobilisations couvaient depuis longtemps. Leur ampleur, qui n’en est sans doute que renforcée, est à l’image du « ras-le-bol » de leurs instigateurs. Un mot d’ordre général relayé au niveau national, mais bien parti de la base, soulignait Gilles Brenon, éleveur de porcs et vice-président de la FDSEA, sur le blocage de l’A42 au niveau de Vaulx-en-Velin jeudi 25 janvier.
L’un des trois points de blocage auxquels ont participé les agriculteurs de l’Ain durant toute la semaine. Après le blocage de l’A42 les 25 et 26 janvier, deux délégations se sont ralliées au cortège en partance de Belleville pour bloquer le péage de Villefranche-sur-Saône à partir de ce lundi. Le lendemain, c’est au tour des agriculteurs du Pays de Gex de neutraliser la deux fois deux voies entre Saint-Genis-Pouilly et Collonges.
De nombreux jeunes, déjà inquiets pour leur avenir
À l’heure d’écrire ces lignes, les deux derniers étaient toujours en cours, et pas moins de 400 agriculteurs et 185 tracteurs s’étaient déjà relayés jours et nuits sur l’ensemble des points de blocage. Des chiffres historiques. Plus inquiétant encore, la peur de l’avenir semble avoir gagné les plus jeunes, particulièrement nombreux sur l’ensemble des blocages. Beaucoup, parfois pas encore installés, inauguraient leur première manifestation.
Aux grands maux les grands remèdes pourtant au bas mot seule la déception règne. Alors que la profession attendait des mesures concrètes de la part du gouvernement vendredi dernier, Gabriel Attal, alors en visite en Haute-Garonne n’a pas su convaincre. Respect de la loi EGAlim, compensation intégrale de la fin de l’avantage fiscal sur le GNR, faire de l’élevage une grande cause nationale, aide des secteurs les plus en crises (comme la viticulture et l’agriculture biologique), application pleine du Varenne de l’eau et retrait de l’arrêté plan eau de juin 2021, refus du zonage « zones humides », rejet en bloc des zones de non traitement, obtention de la dérogation sur les 4 % de jachères … quelque 122 revendications ont été avancées par le réseau syndical FNSEA – JA. Elles tiennent toutes en trois axes : dignité, rémunération, conditions de travail acceptables.
Aucune ne semble pourtant trouver satisfaction auprès du gouvernement. Jonathan Janichon n’y voit que des « mesurettes ». Ce mardi 30 janvier, le Premier ministre s’exprimait de nouveau publiquement, cette fois-ci devant l’Assemblée nationale, mais là encore ses paroles n’ont pas atteint la profession agricole.
FDSEA et JA sont pourtant clairs : il n’y aura pas de déblocage sans mesures concrètes. « Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout », défendait encore Justin Chatard, le président des JA de l’Ain, mardi soir en direct du blocage du péage de Villefranche.
« Il y aura un avant et un après »
Cela ne fait aucun doute pour Olivier de Seyssel, président de la caisse Ain-Rhône de la MSA et présent le premier jour. « Nous sommes dans une situation catastrophique. Les campagnes sont en feu. Le gouvernement ne peut pas rester silencieux face à ces revendications qui datent de plusieurs mois voire de plusieurs années. Il n’a pas écouté les premières alertes, la première salve de mobilisations plutôt tranquilles. Aujourd’hui nous sommes dans le mur, au point de devoir bloquer le pays. » Le président de la caisse alerte sur le mal-être latent aujourd’hui dans la profession, malgré parfois des comptabilités saines. Il dénonce également la baisse continue des enveloppes dédiées aux aides MSA qui ne sont aujourd’hui plus qu’un coup d’épée dans l’eau pour l’élu.
Son fils Henri, étudiant à la MFR de Bourgoin-Jallieu, a tenu à l’accompagner. À terme, il souhaiterait s’installer sur l’exploitation familiale, mais il ne cache pas son inquiétude pour l’avenir du métier. Au-delà des difficultés économiques, Henri vit mal le regard de la société vis-à-vis des agriculteurs. Il en a d’ailleurs fait les frais lors de son dernier stage, pris à parti par des personnes se plaignant de déjections de vaches sur la chaussée.
PAROLES D’AGRICULTEURS
Mahot Bourrely : « J’étais en BTS Acse à Cibeins. J’aimerais m’installer en vaches laitières en Haute-Savoie. Je suis en hors-cadre familial donc je n’ai rien du tout pour partir. J’économise mais j’ai peur de ne pas avoir suffisamment de fonds pour m’installer malgré les aides. Gabriel Attal a annoncé des choses bien mais est-ce qu’elles vont être mises en place ? Il faudrait soutenir le revenu des agriculteurs, l’agriculture française vis-à-vis du libre-échange, et puis l’installation des jeunes. C’est ma première manifestation et je vais adhérer aux JA cette année. Il faut montrer que nous sommes présents. »
Jean Léger : « J’ai eu 70 ans et je suis retraité depuis six ou sept ans. Je suis ici parce que j’ai déjà une pensée pour la dame et sa fille qui sont décédées (Alexandra et Camille Sonac, décédées le 23 janvier sur un barrage en Ariège, NDLR). Il faut défendre le métier. Nous entretenons les paysages et nourrissons la population. Nous demandons de meilleurs prix. »
Quentin Gros : « Je suis éleveur à Bellecombe (Jura) avec mon frère, mon père et mon oncle. Nous sommes en AOP donc un peu privilégiés mais sans les aides Pac nous ne nous tirerions pas de salaire. Il y a trop de normes, les françaises vont encore plus loin que celles imposées par l’Europe, et ici nous avons même des normes supplémentaires avec la Réserve naturelle » (de la Haute Chaîne du Jura, NDLR).
Sylvain Favre : « Pour expliquer la situation agricole, des chiffres sont très parlants dans le Pays de Gex. En 1990, le territoire comptait 77 producteurs laitiers, contre 26 aujourd’hui, et dans les cinq prochaines années, nous perdrons six ou sept éleveurs de plus. Pour ce qui est du litrage, le Pays de Gex produisait 22 millions de litres de lait (Ml) en 1990, quand aujourd’hui on peine à atteindre 14 Ml… »
Chronique d’un mouvement départemental historique
Acte 1 – jeudi 25 janvier
Mardi 23 janvier. Branle-bas de combat. Les animatrices et élus syndicaux de la FDSEA et des JA de l’Ain s’affairent pour mobiliser les troupes et réunir tous les préparatifs. Départ dans moins de quarante-huit heures. D’une simple manifestation, le mouvement évolue vers un blocage de l’A42, à hauteur de Vaulx-en-Velin village. Le premier acte d’une semblerait-il longue série de mobilisations.
Le jeudi matin, aux alentours de 10 h 00, pas moins de 200 agriculteurs, une soixantaine de tracteurs et une centaine de véhicules légers convergent vers le point de blocage, depuis le Leclerc de Beynost, lieu de rendez-vous. Plusieurs exploitants du Nord-Isère, mais aussi quelques routiers – en soutien aux agriculteurs – rejoignent les rangs des manifestants. Escortés par les forces de l’ordre, les agriculteurs tiendront finalement leurs positions jusqu’au lendemain soir. Déçus le jour-même par les annonces de Gabriel Attal et dénonçant « des mesurettes », les agriculteurs décident finalement de lever le blocage le vendredi 26 janvier pour le week-end mais promettent d’autres opérations dans les jours à venir.
Acte 2 – lundi 29 janvier
Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour voir leurs promesses tenues. Deux jours plus tard, les agriculteurs bloquent cette fois-ci le péage de Villefranche-sur-Saône. Deux délégations de l’Ain rejoignent le cortège depuis Tournus et Châtillon-sur-Chalaronne. Alors que les syndicats avaient annoncé une soixantaine de tracteurs au départ de Belleville, ils étaient déjà plus de quarante en partance de Châtillon-sur-Chalaronne et une quinzaine de Tournus ; d'autres tracteurs de la Saône-et-Loire et du Rhône devant les rejoindre. Au total, une centaine d'agriculteurs du département se sont mobilisés ce lundi pour aller bloquer le péage. Beaucoup étaient déjà présents jeudi et vendredi derniers sur le blocage de l'A42 et les jeunes encore une fois particulièrement nombreux. Après les premières annonces de Gabriel Attal vendredi 26 janvier, les agriculteurs attendent toujours des mesures concrètes. « On attend des mesures concrètes, que ce soit sur l'obligation d'avoir 4 % de jachère, les zones humides, les négociations commerciales, les normes françaises ou encore la gestion de l'eau », rappelle Justin Chatard, président des JA de l'Ain, présent au départ de Châtillon-sur-Chalaronne.
Acte 3 – mardi 30 janvier
Le lendemain, alors que le blocage du péage de Villefranche-sur-Saône se poursuit, des agriculteurs du Pays de Gex, trop éloignés pour rejoindre le blocage en tracteurs, décident de mettre en place leur propre opération : le blocage de la deux fois deux voies aux abords de Collonges. Un troisième acte improvisé sur le pouce qui aura tout de même réuni 70 tracteurs et une centaine d’agriculteurs (dont certains sont venus du Jura et de Haute-Savoie). Là encore, beaucoup de jeunes agriculteurs se sont mobilisés.
Tous se sont réunis à partir de 9 heures sur le rond-point du Cern à Saint-Genis-Pouilly avant le lancement d’une opération escargot en direction du point de blocage. Toutefois, pour ne pas complètement neutraliser le Pays de Gex, les agriculteurs ont lentement progressé sur une seule voie jusqu’au moment du blocage, accompagnés par les forces de l’ordre et les services routiers du Département. Sur place, chapiteaux, chaises, tables et barbecues, se montent ensuite progressivement à l’aide d’une bonne huile de coude collective. De quoi tenir confortablement jusqu’au lendemain au minimum.