GRANDS CULTURES
Thierry Josserand : « trois ans de sécheresse c'est une misère »

L'ensilage se termine avec trois semaines d'avance. Les grai ns de maïs ont séché sur les cultures faute de pluie. Le tournesol ne s'annonce pas mieux. Le bilan après moisson avec Thierry Josserand, président du groupe coopératif Oxyane.
Thierry Josserand : « trois ans de sécheresse c'est une misère »


Les nappes se sont reconstituées avec les pluies hivernales. Et pourtant les sols sont désespérément secs. On appelle cela une sécheresse agricole pas une sécheresse « hydrologique ». Pour la grande majorité du département le bilan moisson est catastrophique. Un léger mieux du côté de Chatillon-sur-Chalarone et le long de la Saône. Mais pas de quoi sauter de joie. Thierry Josserand ne cache pas son inquiétude.
« C’est une misère ! Trois ans de sécheresse consécutifs. Plusieurs mois sans pluie et des coups de chaud récurrents. Cette année de mars à fin avril pas une goutte de pluie. Pas bon pour le blé, il lui faut au moins 15 mm d’eau pour que les engrais pénètrent dans le sol. On ne les a pas eus il n’a pas poussé. Certes, le blé récolté est de bonne qualité, mais il est de faible rendement ».
« Pas de pluie non plus du 10 juin au 1er septembre juste sur 2 ou 3 secteurs du val de Saône qui ont permis d’enregistrer 130 mm à Cruzille-lès-Mépillat. Les maïs sont petits comme en 2018 ou lors de la sécheresse de 2003 ». Ce phénomène de sécheresse est général en France et en Europe. La coopérative prévoit 30% de moins de rendement qu’en 2019 et 20% de moins que la moyenne des 5 dernières années. « Les prix ont baissé après la moisson. Le prix fixé par la coopérative reste correct pour le blé. Nous avons donné un bon acompte, la marge sera bonne pour ceux qui ont eu un rendement normal. Mais pour le maïs ça va être difficile. J’ai bien peur que les charges ne soient pas couvertes. Les agriculteurs vont manger de l’argent », soupire le président du groupe Oxyane.

 

Thierry Josserand, président du groupe coopératif Oxyane.

L’activité mondiale

Les stocks mondiaux sont en hausse, la production mondiale a augmenté. Le niveau des stocks s’est renforcé depuis 2012. La production augmente plus vite que la consommation. La France possède beaucoup de blé de qualité. C’est le premier exportateur européen. Pour les agriculteurs cette culture permet bien souvent de couvrir les charges. Toutefois elle est mal menée depuis quelques années avec la mer noire et les pays de l’Est. La Russie, l’Ukraine ont opéré un retour en force sur le marché mondial ces dernières années et largement doublé la France. « Il existe une concurrence sévère avec l’Est sur le blé. La plupart des pays méditerranéens se fournissent là-bas. Les céréales sont moins chères du fait des exploitations immenses et des coûts globaux de production nettement plus bas que chez nous. Ils ont un avantage compétitif énorme », relève Thierry. Le blé se négocie à 160 euros/T en France et 80 à 90 euros/T en Russie.

La Covid et l’éthanol

Thierry Josserand ne veut pas tenir la crise entièrement responsable. « La Covid ne nous a pas empêché de travailler. Tous les agriculteurs ont pu être livrés pour les semis de printemps. Indirectement ce sont les cours qui ont été pénalisés car la consommation mondiale a baissé. 130 M/T de maïs partent pour être transformés en éthanol aux USA mais les usines ont fermé, l’activité est réduite. Et les cours de l’éthanol sont indexés sur le pétrole cela ne fait pas notre affaire. » Sévère concurrence aussi avec d’autres pays pour le maïs. « Au Brésil ils ont au minimum 2 cultures par an. Du soja OGM suivi par le maïs OGM. Ils utilisent massivement le roundup, nous pas. L’Europe importe à tour de bras du soja OGM. On les retrouve dans les produits transformés mais aussi dans les tourteaux pour nourrir les animaux ». Pour le président de la coopérative, « le système français et sa réglementation pénalise les agriculteurs.

Des impasses techniques

Les conséquences de l’interdiction du gaucho nous ont fait très mal. La production d’orge et de blé est catastrophique. Avant le gaucho les protégeait contre les pucerons. C’était tellement humide en novembre que nous n’avons pas pu pulvériser. Beaucoup de parcelles d’orges ont eu la jaunisse nanisante ». Les betteraves dans d’autres départements ont rencontré le même problème. « Quant au glyphosate, on en a fait un étendard médiatique » analyse Thierry. « Comme nous en mettons moins, on déchaume deux fois au lieu d’une. On consomme plus de gazole, on use plus les tracteurs, au niveau écologique le bilan carbone n’est pas glorieux. Le gouvernement fait de la démagogie autour du glyphosate alors que c’est le moins dangereux des herbicides. Les décideurs n’ont pas conscience qu’ils nous coincent dans des impasses techniques. Ils découragent les agriculteurs par toutes ces contraintes réglementaires. Il nous faudrait aussi des prix plus élevés pour les compenser et s’en sortir. Cela dans toutes les productions ».
Alors que les moissons sont en cours, les semis de blé et de colza devraient suivre mais sans pluie ils ne se feront pas ou mal. Le réchauffement climatique n’augure pas de belles récoltes pour les céréaliers qui font grise mine.

Yolande Carron

 

Calamité agricole

La reconnaissance de calamité agricole, les céréaliers n’en attendent rien.
« Ça ne joue pas pour les grandes cultures » déplore Thierry. « Nous avons des assurances climatiques avec une franchise de 25% (voire 15% pour les adhérents du groupe Oxyane). Pour le calcul de l’indemnité il se fait sur la moyenne des 5 dernières années. Elle ne nous sauve pas vu que les sécheresses se succèdent. On est très loin de couvrir les charges avec le versement. »

Stockage de l’eau

Pour l’agriculteur qu’il est Thierry, « c’est un réel problème. Chaque fois qu’un projet voit le jour il n’arrive jamais à aboutir. Les associations de défense de la nature sont contre. Nous sommes totalement paralysés par le système. Nous avons de la chance d’avoir beaucoup d’eau grâce aux rivières qui traversent le département, les nappes se remplissent. Mais si nous ne construisons pas de retenues cela va devenir compliqué ».

Le bio

« Les cultures bios se développent. Les consommateurs veulent du bio mais à un moindre coût. Avec 4 euros le ticket de cantine pour un gamin on ne peut pas monter en gamme. Il faudrait que les parents acceptent de payer un peu plus cher pour avoir du français ou du local. 1 ou 2 euros de plus c’est trop cher pour eux, mais un portable à 1500 cela ne les choque pas ».

L’ambroisie

Après la moisson de blé l’ambroisie n’a pas germé bien qu’elle se contente de très peu d’eau. Il n’y a pas eu de gros problèmes.

Cultures intermédiaires

« C’est une bonne technique agro environnementale mais il faut de la pluie entre juillet et août. Le calendrier de la PAC et les contrôles imposent la date des cultures. Cette année il faisait trop sec pour les semer mais certains agriculteurs l’ont fait avant le 20 août pour être dans les clous. C’est regrettable d’en arriver là » glisse Thierry Josserand qui ne voudrait pas se départir de son bon sens paysan pour décider de ses semis de cultures.