Contre le stéréotype agriculteur, une communication positive et pédagogique

Margaux Legras-Maillet
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Clichés, incriminations sur les réseaux sociaux, attaques physiques, l’agribashing fait toujours parler de lui. Faits d’une minorité pour beaucoup, certains accusent le coup et n’hésitent plus à prendre aujourd’hui un virage offensif. 

Contre le stéréotype agriculteur, une communication positive et pédagogique

Dans le cadre de son rapport sur l’explication des causes et la prévention des suicides chez les agriculteurs, remis au Gouvernement en décembre dernier, Olivier Damaisin député du Lot-et-Garonne, présentait l’agribashing « comme un révélateur du mal-être agricole renforçant la nécessité d’une communication positive sur l’agriculture ». Le phénomène semblait s’être calmé depuis l’année dernière, mais le sujet revient malgré tout régulièrement sur la table. Anglicisme en vogue ces dernières années, parfois contesté ou sur usité, l’agribashing englobe au sens large l’ensemble des critiques et attaques à l’encontre du milieu agricole. Un phénomène qui a pris de l’ampleur après l’épidémie de la vache folle et la montée en puissance des discours militants pour la protection de l’environnement et du bien-être animal, avec un pic entre 2017 et 2019.

Si son existence ne fait aujourd’hui plus débat, Rémi Mer, fils d’agriculteur et observateur des relations entre les agriculteurs et le reste de la société, appelle malgré tout à la prudence quant à son utilisation. « Le terme agribashing obscurcit plus qu’il n’éclaire la relation entre les agriculteurs et la société », souligne-t-il dans une interview donnée aux chambres de l’agriculture en avril 2019. « Le terme agribashing agit comme un double leurre. D’une part, il masque l’image très positive de l’agriculture dans l’opinion française : les sondages montrent que les Français aiment leurs agriculteurs (…). D’autre part, il masque aussi les nouvelles stratégies des organisations environnementalistes ou abolitionnistes (s’agissant de l’élevage) les plus militantes pour mettre leurs interpellations et leurs positions à l’agenda politique. » 

Incriminations et clichés sur les réseaux sociaux, violations de domicile, incendies d’exploitations, l’agribashing prend en effet différents aspects, mais cible certains modèles agricoles plus que d’autres, en particulier celui dit conventionnel. Les agriculteurs pratiquant l’agriculture ou l’élevage intensifs sont alors souvent associés à des « pollueurs » ou comparés à des « esclavagistes », l’agriculture biologique étant à contre-pied plus défendue. Pourtant, d’après un sondage Odoxa-Dentsu Consulting, commandé par Franceinfo et Le Figaro en 2019, 85% des Français ont une bonne ou très bonne opinion des agriculteurs. Un sentiment ressenti par un grand nombre d’agriculteurs qui préfèrent attribuer ces actes de violence à une minorité militante. 

Une cinquantaine de cas en 2019

Une réalité dont le gouvernement a pris la mesure en créant la cellule Déméter en octobre 2019 dans le cadre d’une convention tripartite entre le ministère de l’Intérieur, la FNSEA et les JA. Gérée par la Gendarmerie nationale, la cellule a recensé une cinquantaine de faits violents « à caractère idéologique » (violations de domicile, dégradations, incendies avec destruction des exploitations en 2019. « Ce qui est nouveau », d’après le colonel Pallot. Difficile de donner des tendances précises avec la pandémie de Covid-19 l’an dernier, mais elles ne seraient pas à la hausse selon l’officier. Il souligne cependant les limites de ces statistiques : « Il ne faut pas oublier que l’on intervient en tant que gendarmes, c’est-à-dire lorsqu’il y a une infraction au Code pénal. L’agribashing n’est pas une infraction en soit et exprimer une opinion sur les réseaux sociaux » n’est pas illégal. 

Dans l’Ain, « Je suis plutôt écolo, mais il ne faut pas oublier que ce sont les pulvérisations, à partir des années 1960, qui nous ont permis d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Moi je n’ai jamais subi (l’agribashing), mais quand on voit dans les journaux ce qui se passe, ça travaille psychologiquement », confie Bernard, retraité du GAEC de la Doline à Drom.

Dans l’Ain, « Je suis plutôt écolo, mais il ne faut pas oublier que ce sont les pulvérisations, à partir des années 1960, qui nous ont permis d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Moi je n’ai jamais subi (l’agribashing), mais quand on voit dans les journaux ce qui se passe, ça travaille psychologiquement », confie Bernard, retraité du GAEC de la Doline à Drom.

Face à la multiplication des critiques, plusieurs agriculteurs ont opté pour une communication défensive en répondant aux clichés et aux incriminations directement sur les réseaux sociaux et dans les médias. Un manque d’engagement selon Michel Joux, président de la FRSEA et de la chambre de l’Ain: « On devrait mieux expliquer la cause agricole au niveau national. On a des atouts, on a la meilleure agriculture du monde, mais on ne l’a pas assez dit. On était plus sur la défensive et c’est la mauvaise tactique. Beaucoup ont axé la communication sur les produits, mais il faut maintenant communiquer sur le métier ». Dans ce sens, les chambres d’agriculture proposent aujourd’hui de plus en plus de formations à la communication pour aider les professionnels de l’agriculture à mieux valoriser leur métier. 

Vers une communication offensive

Un virage offensif partagé par la campagne Agriloving, ainsi nommée en réponse à l’agribashing. Elle a été créée par un groupe d’agriculteurs de Bourgogne-Franche-Comté en novembre 2019, conscients de la méconnaissance et de l’ignorance d’une partie de la population sur le milieu agricole. Ils déconstruisent ainsi les clichés en publiant régulièrement des vidéos humoristiques. « Répondre aux attaques sur les réseaux sociaux ne sert à rien et nous préférons mettre en avant le monde agricole et ses valeurs, explique François-Xavier Leveque, président de la campagne. On essaye de développer un réseau d’ambassadeurs avec ceux qui peuvent nous aider physiquement en créant des vidéos et avec ceux qui relayent le hashtag #Agriloving sur les réseaux sociaux. » 

D’autres agriculteurs ont aussi lancé leur propre chaîne YouTube, à l’instar de Chaîne agricole (108 000 abonnés sur la plateforme), Thierry agriculteur d’aujourd’hui (85 000 abonnés) ou encore Alex agriculteur Vienne (48 500 abonnés) qui proposent des vidéos de vulgarisation et explicatives du métier d’agriculteur et des enjeux actuels auxquels fait face l’agriculture. Ils se filment au travail et racontent leur profession, mais aussi leurs impressions, doutes et revendications afin d'être mieux compris du reste de la société. 

Le poids des mots 

Pour Michel Joux, il ne suffit cependant pas de communiquer, mais d’utiliser les bons termes. « Les hommes politiques, même au plus haut niveau, ne font pas toujours attention à la tonalité de leurs paroles et au choix des mots ». Les médias sont également souvent pointés du doigt. Une étude commandée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, FranceAgriMer et l’ADEME, publiée en juillet dernier dans la revue Les Notes et études socio-économiques, dément cependant la corrélation entre les attentes exprimées par la population sur le sujet « vegan/flexitarisme » et les comportements d’achat de viande en grande distribution : « on peut dire que pour la viande, analysée en lien avec le véganisme et le flexitarisme, aucune corrélation n’est observée entre les messages des médias traditionnels et ceux du « grand public ». Comme il apparaît que le grand public n’adhère pas aux arguments des communautés véganes, les consommateurs ont plutôt tendance à consommer plus de viande quand les débats médiatiques sur ce sujet augmentent ». 

Le président de la Chambre de l’Ain estime néanmoins que le gouvernement actuel est le premier depuis longtemps à s’être autant penché sur la question de l’agriculture. « Le président a revu sa copie et a appris. On s’en rend compte dans ses prises de paroles ». Même son de cloche du côté de François-Xavier Leveque d’Agriloving en ce qui concerne la couverture médiatique de l’agriculture. « La vision de la société évolue dans le bon sens. La communication à charge est de moins en moins écoutée et relayée. Quant aux médias, les orientations changent aussi. » 

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