PRÉDATION
La Brigade mobile d’intervention grands prédateurs dépêchée à La Bergerie de la Cordière
Avec son frère et sa sœur, Jean Arcan est l’un des éleveurs prédatés par le loup dans le Bugey. Dix jours après l’attaque, il témoigne son traumatisme et son inquiétude face à la prolifération de l’animal et son « incompatibilité avec l’élevage local ».
Ce sont bien six attaques, rien qu’à la Bergerie de la Cordière à l’Abergement-de-Varey, qui se sont produites en moins d’une semaine entre le vendredi 5 et jeudi 11 avril. La préfecture de l’Ain fait état de 28 victimes ovines, 25 tuées et trois blessées. À cela s’ajoute un cochon retrouvé égorgé, mais dont les morsures, trop profondes et peu nettes, n’ont pas permis d’identifier clairement le prédateur. Un tableau de chasse suffisamment exceptionnel pour que Danielle Balu, sous-préfète de Nantua et référente loup et lynx, se rende sur place après quatre attaques, accompagnée de la DDT et de l’OFB le mercredi 10 avril.
Dans le même temps, la préfecture publiait un arrêté autorisant des tirs de défense simple autour de l’exploitation, sans toutefois pouvoir éviter une sixième attaque le mercredi soir. La goutte de trop pour les éleveurs. Le surlendemain, à bout, Jean Arcan demandait à la sous-préfète la possibilité de recourir à l’intervention de la Brigade mobile grands prédateurs. Jusqu’au jeudi 18 avril, deux tireurs de la Brigade seront finalement dépêchés sur les lieux, en plus des louvetiers bénévoles déjà postés depuis la semaine d’avant. « Ils ne sont pas très nombreux pour toute la France. Ça me fait vraiment rigoler. On se demande comment l’État fait pour dire qu’il protège les élevages », se désole l’éleveur qui se réjouit toutefois d’avoir pu obtenir le concours de deux tireurs supplémentaires. Ce lundi, quatre tireurs de la Brigade mobile étaient de nouveau sur l’exploitation et seront postés chaque nuit jusqu’à vendredi, en plus des louvetiers.
Un loup filmé via les pièges photos
Ils seront finalement restés quatre nuits la première semaine. « Ils ont vu un animal suspect mais pas clairement identifiable dans la nuit de lundi à mardi et un lynx dans les nuits d’avant », raconte Jean Arcan le 17 avril. Il faut dire que les conditions n’étaient pas vraiment réunies pour repérer un loup. « Depuis six jours nous entendons un hélicoptère voler très bas et réaliser plusieurs passages, même tôt le matin, et avec 40 kg de viande consommée, les loups n’ont plus faim », avance Jean Arcan. Nous sommes toutefois en mesure d’assurer qu’un loup solitaire a tout de même été filmé via les pièges photo de l’Apacefs* disposés aux abords de l’exploitation ce week-end.
Si rien ne permet de l’affirmer visuellement, pour l’éleveur toutefois il n’y a pas de doute, entre le mode opératoire et le taux de consommation, il s’agit bien de « loups » au pluriel. Les attaques ont eu lieu malgré la présence de chiens de protection dans chacun de ses lots (cinq au total de la race Kangal), y-compris dans le parc attenant à la maison de la sœur de Jean Arcan dont deux chiens de compagnie étaient dehors. « J’avais 20 béliers, il ne m’en reste plus que 15, en deux jours, et potentiellement 200 agneaux qui ne vont pas naître » entre les mâles reproducteurs morts et des brebis qui risquent de ne pas agneler faute de stress. Jean Arcan a bien retrouvé des mâles, mais pour l’instant il ne sait pas encore s’il se risquera à les mettre à la reproduction. « Normalement il y a une période de quarantaine à respecter pour des raisons sanitaires et il faut ensuite habituer les béliers à l’exploitation. S’ils se blessent parce qu’ils se battent par exemple, je ne serais pas indemnisé », jauge-t-il. À quinze mois, ces jeunes béliers ne sont pas non plus suffisamment matures pour rester longtemps avec des brebis, ce qui ajoute à l’organisation de l’exploitation qui fait naître 700 agneaux par an.
« Je ne suis pas éleveur pour être équarrisseur »
Un coup de massue à la fois psychologique et économique. « Depuis le vendredi de la première attaque, nous faisons le tour des lots mais aussi des parcs chaque jour pour vérifier qu’une bête n’a pas été tuée quelque-part. Si on ne la retrouve pas dans les trois jours après il est trop tard pour être indemnisé. Ce sont des terrains escarpés et non carrossables donc tout se fait à pied », explique Jean Arcan. Malgré une voix posée et dénuée de pathos, le traumatisme de l’éleveur est palpable. C’est froidement qu’il raconte désormais cette semaine de « carnage », le mode automate activé par la fatigue cumulée. « Je me réveille énormément la nuit. Une semaine comme celle-ci, ça laisse des traces. Et puis les images dans la tête… Je ne fais pas ce métier pour être équarrisseur ! » Sans édulcorer, Jean Arcan décrit ses souvenirs : sa brebis éviscérée encore vivante qu’il a fallu attraper, l’un de ses béliers reproducteurs qui a dû être opéré, l’OFB à appeler pour le constat d’attaque. « J’en suis au stade où j’arrête un des cinq marchés que je faisais chaque semaine parce que je n’ai plus le temps donc c’est potentiellement 20 % de chiffre d’affaires en moins », poursuit l’éleveur.
« Il y a de grosses questions à se poser pour l’élevage »
Mais ce qui inquiète Jean Arcan, c’est surtout la suite, pas uniquement pour lui mais pour l’ensemble des éleveurs du territoire. Si d’autres attaques ont lieu, il réfléchira sérieusement à rentrer ses bêtes en bâtiment. « Je fais beaucoup de vente directe. Mes animaux sont en plein air mais ils ne le sont pas pour être mal. Tous mes terrains ont été mis en état, clôturés, ils sont desservis grâce à une source donc on n’a pas besoin d’utiliser de tonne à eau donc on ne consomme rien en carburant. Mes cochons ils ont 1 000 m2, ils sont en forêt, ils mangent des vers de terres. Si on veut les mettre en bâtiment, derrière ça veut dire les nourrir avec des céréales, ce n’est pas du tout la même viande et c’est bien moins écologique. Il y a de vraies questions à se poser pour les zones d’élevage non mécanisables qui ne peuvent pas être fauchés. Si on arrête et que personne ne reprend, tout repartira en friche », souligne-t-il. Aujourd’hui, il dit presque regretter d’avoir investi plusieurs millions d’euros dans du matériel de pente (tracteur de pente, broyeur). Et de lâcher : « Aujourd’hui je leur demande, qu’est-ce que l’État veut faire ? Si c’est juste pour ne pas faire peur et dire qu’il n’y a un qu’un loup, alors soit, mais si derrière on veut protéger l’élevage, protéger les territoires, pour moi ce n’est pas compatible avec la présence du loup ».
* Association des Protections Alternatives pour la Cohabitation de l'Élevage et de la Faune Sauvage.
Malgré la proximité des habitations, la présence de chien de protection dans la parcelle et de chiens de compagnie à l'extérieur, cinq béliers du Gaec ont été tués dans la nuit de mercredi à jeudi 18 avril. Photo/Jean Arcan
INDEMNISATIONS/ Jean Arcan interpelle la préfecture de l’Ain
Un marché arrêté chaque semaine, au moins 150 agneaux qui ne naîtront pas cette année faute de cinq béliers en moins à la reproduction au mois de mai. Si l’État indemnise les animaux tués lors d’une attaque avérée, qu’en est-il des pertes collatérales ? C’est en substance ce qu’a demandé Jean Arcan dans un courriel daté du jeudi 28 avril envoyé aux services de l’État. « (…) Je voudrais savoir si la perte de mon chiffre d'affaires entraîné par l'obligation de cohabiter avec les loups sera prise en charge par l'État. (…). En effet nous entendons dire que les aides en cas d'attaque compensent les pertes mais celles-ci sont beaucoup plus importantes que les animaux tués. » Et Jean Arcan de faire le bilan : « Une prédation comme celle-ci, il faudra un an et demi à deux ans à l’exploitation pour qu’elle s’en remette. » Une demande prise au sérieux par la préfecture qui répond : « Cette demande est en cours d’étude en lien avec les services techniques de la préfète coordinatrice du PNA pour le loup et les activités d'élevage (DREAL). »
M.B.