LAIT
Stéphane Joandel : « La grande distribution peut devenir un allié pour les producteurs »

En fin de semaine dernière, les producteurs laitiers d’Auvergne-Rhône-Alpes se sont rendus dans plusieurs grandes surfaces de la région pour identifier les produits non conformes à la loi Egalim. Le point avec Stéphane Joandel, responsable du dossier lait à la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes.

Stéphane Joandel : « La grande distribution peut devenir un allié pour les producteurs »
Stéphane Joandel, responsable du dossier lait à la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes.©SD

Comment s’est déroulée la mobilisation des éleveurs laitiers dans les grandes enseignes régionales ?

Stéphane Joandel : « La FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait) a lancé un grand appel à la mobilisation il y a environ une semaine. La FRSEA et Jeunes agriculteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes l’ont ensuite relayé pour essayer de mobiliser le plus d’éleveurs possibles. Il faut rappeler que les éleveurs laitiers ont pleinement été partie prenante dans la construction de la loi Egalim mais aujourd’hui, les résultats en termes de rémunération ne sont manifestement toujours pas à la hauteur. L’idée de cette mobilisation était de se rendre dans les grandes surfaces des différents départements pour identifier les produits conformes ou non à la loi Egalim. Nous nous sommes concentrés en priorité sur quatre produits emblématiques pour les consommateurs : le lait UHT, l’emmental râpé, le camembert et le yaourt nature ».

Qu’ont découvert les éleveurs quand ils sont arrivés dans les grandes et moyennes surfaces ?

S.J. : « L’objectif était simplement de constater, par nous-mêmes, qui sont les mauvais élèves. Les producteurs se sont rendus en grandes surfaces par groupes de trois, sans violence, simplement pour vérifier les prix. Toutes les enseignes ont été ciblées, sans distinctions. Nous n’avons pas encore de retour de tous les départements mais nous savons d’ores et déjà que les principales incohérences concernent le lait UHT. Dans le Cantal par exemple, des éleveurs ont trouvé du lait vendu 64 centimes le litre alors que si le coût de production était pris en compte comme le prévoit la loi Egalim, il devrait être vendu au minimum 74 centimes. Chaque fois que les éleveurs ont découvert que le prix affiché en grandes surfaces était inférieur au prix attendu, ils ont demandé à la direction de voir le prix général de vente, ce que beaucoup n’ont pas été en mesure de leur fournir ».

Quel accueil avez-vous reçu, notamment de la part des consommateurs, lors de votre mobilisation ?

S.J. : « Le consommateur, quand on lui explique que sur l’année, il suffit de 4 € de plus en moyenne pour qu’un producteur de lait puisse vivre, il est d’accord dans 90 % des cas. Ce n’est pas lui qui est visé, ce sont bien la grande distribution et les transformateurs. A titre personnel, je suis convaincu que les grandes et moyennes surfaces veulent que les choses soient bien faites et que le producteur soit payé à la juste valeur de son travail. J’ai vraiment le sentiment que la grande distribution peut devenir un allié pour les producteurs, cela se ressent d’ailleurs dans l’accueil qui nous est réservé lors de ce type de mobilisation. C’est pour cette raison que je ne voulais pas d’actions de force qui peuvent braquer les gens. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de pratiques commerciales dures, mais le problème est peut-être plus à aller chercher du côté des transformateurs. »

D’après vous, la loi Egalim 2 en préparation permettra-t-elle de surmonter les blocages actuels ?

S.J. : « D’après moi, nous payons l’affrontement entre Lactalis et Sodiaal qui à eux seuls représentent la moitié du lait français. Cette guerre fait du producteur la variable d’ajustement et ce n’est pas acceptable. Nous payons aussi la naïveté de l’Etat qui n’a pas jugé bon de mettre en place des moyens coercitifs pour obliger à rémunérer le producteur de lait à sa juste valeur. Dans la loi Egalim 2, il faudra absolument sanctuariser la prise en compte du coût de production, par exemple par la mise en place de contrats tripartites. Dans les prochaines semaines, le député (LREM) Jean-Baptiste Moreau auditionnera la FNPL pour recueillir les demandes de la filière. Il faudra aussi s’appuyer sur le rapport de Serge Papin qui propose des solutions concrètes comme des garanties sur l’origine, la non-négociabilité des conditions générales de vente et la mise en place d’un organisme capable de sanctionner les mauvais élèves. Il faut absolument que ce dossier soit réglé d’ici l’été, sinon rien ne bougera avant la présidentielle. D’ici-là, nous restons mobilisés. »

Propos recueillis par Pierre Garcia