INTERVIEW
Jérémy Decerle : « La Pac actuelle ne construit pas d’avenir ! »

Jérémy Decerle, éleveur de Chevagny-sur-Guye (Saône-et-Loire) et député européen, analyse les négociations actuelles de la Pac particulièrement compliquées, sans oublier la situation sanitaire due à la pandémie de Covid-19.

Jérémy Decerle : « La Pac actuelle ne construit pas d’avenir ! »
Jérémy Decerle, éleveur de Chevagny-sur-Guye (Saône-et-Loire) et député européen.

Dans quel contexte général les négociations  de la Pac se déroulent-elles ?

Jérémy Decerle : « Le contexte européen a changé en 2019 avec le renforcement au Parlement de deux groupes politiques : centristes (Renew) et écologistes. C’est donc un nouvel équilibre avec le Parti populaire européen et les Socialistes-démocrates qui auparavant faisaient la pluie et le beau temps. Sans Renew, il n’y a pas de majorité au Parlement. Après deux ans de mandat, j’ai pu constater que la vision européenne sur la Pac a changé. D’une Europe laissant son agriculture sur le libre marché mondial, avec une simple vision économique mais sans beaucoup de gestion des marchés, la volonté est de se tourner vers les attentes sociétales. En clair, la volonté est de rester sur le libre marché -et les règles de l’OMC - mais en arrêtant d’être les naïfs du village mondial et en se donnant les moyens de se battre à armes égales, avec néanmoins toujours cette frilosité d’aller jusqu’à du protectionnisme, qui reste un « gros mot » au Parlement alors que les autres grandes puissances (Russie, Chine, USA) sécurisent ainsi leurs secteurs agricoles.

Quelles sont les attentes sociétales européennes que vous avez identifiées ?

J. D. : « Pour revenir sur les attentes sociétales, l’ambition est mise sur l’environnement. En revanche, les notions d’environnement méritent d’être définies clairement et cela nous oblige à être cohérent avec les autres politiques : énergétique, industrielle, transports… en partant des textes existants mais en retravaillant différents articles sans rien s’interdire. »

Quelle articulation dès lors, demain, avec les autres politiques vertes européennes et la Pac ?

J. D. : « L’architecture verte de la Pac se dessinera dans chaque plan stratégique national (PSN), après que la Commission environnement ait donné son avis en tenant particulièrement compte du Pacte vert (Green deal), pour une cohérence globale. Personnellement, je vois là un bon moyen de donner des moyens aux agriculteurs pour répondre aux défis climatiques avec une dimension économique réelle. Ce travail devra être rémunéré et gage de valeur ajoutée économique et écologique. Les éco-régimes (eco-schemes) sont des dispositifs faits pour qu’un maximum d’agriculteurs puissent choisir un maximum de solutions agroécologiques. »

Qu’est-ce que cela changerait concrètement par rapport à maintenant ?

J. D. : « Si je prends ma casquette d’agriculteur français, alors cela va déjà me permettre de faire reconnaître l’existant : puits de captage du carbone des prairies, HVE… Avec une ambition de 20 à 30 % du budget du premier pilier Pac, cela donnera envie aux autres pays européens de faire les mêmes efforts environnementaux. C’est surtout une manière de mieux gérer l’environnement avec des objectifs de résultats. Les seules obligations de moyens du second pilier n’étant pas très performantes. Par exemple, sur la directive (EU) nitrates qui se traduit par une demande à tous les agriculteurs d’un pays de respecter la même règle alors que les qualités de l’eau sont différentes en France. »

Concernant l’installation, quel regard porter vous sur la politique de l’Europe ?

J. D. : « C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur en tant qu’ancien président de Jeunes agriculteurs (JA). Le sujet du renouvellement des générations rassemble en Europe. Encore moins qu’en France, seuls 5 % des agriculteurs européens ont moins de 35 ans ! 50 % ont plus de 55 ans ! L’ambition est de doubler les enveloppes. Nous sommes tous d’accord au Parlement pour y consacrer 4 % des aides du premier pilier Pac, mais ce n'est pas le cas du Conseil européen.

Propos recueillis pas Françoise Thomas, Auriane Devaux et Cédric Michelin