PISCICULTURE
2023 : « une année horrible »

Margaux Balfin
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La situation était prévisible. Après deux années consécutives sans pluviométrie suffisante, les éleveurs de poissons de la Dombes n’ont pas pu limiter la casse. Le syndicat et l’Apped* en appellent à la reconnaissance « calamité agricole ». 

2023 : « une année horrible »
Cet été, de nombreuses pêches de sauvetage ont eu lieu dans toute la Dombes. Face au manque d’eau, les pisciculteurs ont tenté de sauver le peu de poissons qu’il restait dans leurs étangs. Photo/Stéphane Meyrieux

Producteurs, coopérateurs, syndicalistes, tous s’accordent à le dire, l’année 2023 est « historique ». Alors que d’ordinaire les pêches d’étangs débutent à la mi-octobre, cet été de nombreuses pêches, dites de sauvetage, ont eu lieu un peu partout en Dombes. Sylvain Bernard, directeur de la SARL Sunrise Canyon, a mené l’une de ces pêches le 12 septembre dernier. Il ne reste plus rien de la tonne de blancs et de brochets qu’il avait introduite, soit une perte sèche de 3 000 € ; quant aux carpes il n’en a tiré que deux tonnes au lieu de cinq escomptées. Sur les 150 000 € de stock de poisson investis ce printemps, Sylvain Bernard sait déjà qu’il en a perdu au moins un tiers et seuls 11 de ses 29 étangs en eau ont pu être pêchés.
C’est la conséquence directe du manque de pluie cet hiver. Une grande majorité d’étangs se sont retrouvés au 15 avril avec un déficit d’eau, parfois de 20 à 30 cm. Les pisciculteurs ont souvent sacrifié leurs étangs en amont, convertis en céréales, pour remplir ceux en aval, mais cela n’a pas suffi à remplir tous les étangs. Face à l’obligation de produire pour sortir ne serait-ce qu’un maigre chiffre d’affaires, beaucoup ont préféré empoissonner même les étangs qui n’étaient pas à ras-bord. Ce sont les plus durement touchés avec une mortalité parfois totale. La température de l’eau y a atteint les 30 degrés au plus chaud de la saison, dépassant largement le seuil de tolérance de 26 degrés de la plupart des espèces de poissons. 
 
Une demande de reconnaissance « calamité agricole » 
 
« Une horreur », lâche tout bonnement Stéphane Meyrieux, président du syndicat des pisciculteurs de la Dombes. Face à la situation, le syndicat et l’Apped* ont fait une demande de reconnaissance « calamité agricole » pour les étangs. « Nous attendons une réponse d’ici la fin septembre », précise Stéphane Meyrieux. 
Quant au reste des étangs encore en eau, le plus dur semble passé et les pêches devraient commencer en octobre, peut-être un peu plus tôt que prévu. Sébastien Grand, pisciculteur et responsable des pêches à la coopérative Coopépoisson de Montluel, dépeint toutefois un tableau déjà bien sombre : « près de 50 % des étangs de la Dombes sont déjà pêchés ou asséchés depuis avril ou cet été. Je pense que nous devrions pêcher 30 % de ce que l’on fait une année normale. Même les anciens de la Dombes nous disent qu’ils n’ont jamais vu ça. » 
Une situation qui met financièrement à mal les élevages mais aussi, en bout de chaîne, la SCEA Coopépoisson qui réunit 80 apporteurs actifs en moyenne pour quelque 250 étangs pêchés. Pourtant pas des plus pessimistes, son président Julien Cartier-Millon, s’attend à une baisse d’apport de 300 à 350 tonnes de poisson sur l’année. Avec une marge brute de 1,70 €/kg de poisson vendu, le manque à gagner pourrait s’élever à 500 000 € pour l’unique coopérative de producteurs de poissons d’étang de France. « C’est une problématique lourde. C’est d’autant plus pénible que nous sommes partis d’un redressement judiciaire, nous avions relevé la coopérative et payé nos dettes avec de la trésorerie d’avance. C’était la première année où nous étions bien portants. » Pour le président il n’y a pas de doute, s’il ne se veut pas alarmiste, sans un coup de pouce supplémentaire des coopérants et d’aides publiques, la coopérative pourrait s’enliser dans « une situation désastreuse ». 
 
L’empoissonnement de l’année prochaine en difficulté 
 
Outre 2023, l’année prochaine s’annonce elle aussi compliquée. Après deux années consécutives de manque de pluie, les étangs de la Dombes seront tous quasiment à sec à la fin des pêches. Si le scénario se répète cet hiver, il y a de forte chance pour qu’il n’y ait cette fois-ci plus suffisamment d’eau pour remplir un seul étang l’année prochaine, même en jouant sur la bascule de la chaîne. « Il nous faut deux saisons pour remplir tous nos étangs, du 15 octobre au 15 avril, précise Sylvain Bernard. L’hiver 2020-2021, nous avons eu 725 mm à Ambérieux-en-Dombes, 411 mm l’hiver suivant et 328 mm cet hiver, sachant qu’il nous faut 600 mm pour remplir. » Après deux années sans eau, le pisciculteur estime qu’il lui faudrait 1 000 mm d’ici le printemps prochain pour s’en sortir en 2024. 
Les pisciculteurs font aussi face à une autre difficulté : avec de lourdes pertes cet été, les éleveurs n’ont plus le stock de poisson suffisant pour à la fois vendre et assurer la production l’année prochaine. Seule solution, acheter des alevins en écloserie. Il n’en existe que deux dans l’Ain, celle de Sébastien Grand et de Stéphane Meyrieux, sachant que ce dernier utilise 90 % de ses alevins pour sa propre production. Les alevins de carpes, placés en bassin, ne devrait pas manqués pour abonder la demande estimée plus forte l’année prochaine mais la question se pose pour les autres espèces comme le brochet. « Il va falloir retrouver des géniteurs », explique Sébastien Grand. À l’instar de Sylvain Bernard, des pisciculteurs se sont aussi tournés vers des fournisseurs de la Brenne et de la Lorraine. 
 
Des pistes pour s’adapter 
 
Difficile de prévenir l’avenir, mais il y a fort à parier que le manque de pluviométrie se répétera dans les prochaines années. Alors pour continuer à produire du poisson, les pisciculteurs doivent s’adapter. C’est pourquoi il y a un an, le syndicat des étangs de la Dombes a initié des expérimentations de pêche en pleine eau pratiquée dans d’autres régions de France, avec le soutien financier du Département et de la Région. Le principe : conserver la quasi-totalité de l’eau de l’étang au moment de la pêche au lieu de la vider comme cela se fait traditionnellement en Dombes. Peu technique sur le papier, la tâche s’avère toutefois laborieuse pour les pêcheurs. Les filets utilisés, longs de 150 mètres et hauts d’environ quatre sont très lourds à tirer, ce qui nécessite une équipe plus importante que pour une pêche classique. Stéphane Meyrieux se veut toutefois optimiste : « Nous avons fait des essais chez Sylvain Bernard, Sébastien Grand, chez Jean-Raphaël Guérin et chez moi. Ce sont des techniques nouvelles qui sont à améliorer mais nous avons quand-même de bons retours avec un taux de capture de 80 % ». Le syndicat et l’Apped réfléchissent également à un système d’enrouleur avec un treuil pour soutenir les pêcheurs.
 
*Association de promotion du poisson des étangs de la Dombes