ABCDE (Association bressane citoyenne de débats et d'échanges) et l'association CSI (Coopération et solidarité internationales) ont fait appel à l'un des grands spécialistes de l'agro-écologie pour leur dernière conférence - débat de l'année 2019. Le 10 décembre dernier, Marc Dufumier, ingénieur agronome, professeur émérite en agriculture comparée et développement agricole à l'AgroParisTech, expert auprès de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et président de Commerce équitable France, est intervenu à Montrevel-en-Bresse devant une
salle comble sur thème « Quelle agriculture pour une alimentation saine et durable ? ». En préambule, il rappelait quelques éléments sur le contexte actuel. A commencer par les adaptations nécessaires au dérèglement climatique global : « Personne en France n'est préparé aux déséquilibres écologiques. Il est nécessaire de mettre en place des systèmes de production agricole plus résilients, bien plus diversifiés qu'aujourd'hui », souligne-t-il. Et de poursuivre par la mondialisation croissante des échanges, le poids de plus en plus importants des oligopoles : l'agro-industrie et la grande distribution (quatre centrales d'achat seulement en France), ou encore l'extension des villes sur les terres agricoles...
Les leçons des errements du passé...
Et Marc Dufumier de citer en exemple certains « errements du passé » pour en tirer des leçons constructives pour l'avenir. Sur la question de l'accroissement des rendements à l'hectare, il explique : « l'idée qu'il nous faudra toujours produire plus à l'hectare pour nourrir les pauvres dans le monde est faux. Ce sont au contraire nos excédents qui les affament ». Sur la recherche génétique, il ajoute : « Utilisée pour obtenir des hauts rendements, elle a donné des variétés gourmandes en engrais, sensibles au stress hydrique et à un grand nombre de prédateurs ». Sans oublier « les économies d'échelle, des produits standards sans prise en compte des coûts environnementaux... ». Et selon lui, parmi les constats les plus inquiétants, le fait de « toujours produire plus pour gagner moins, avec des écarts de productivité de 1 à 200 selon les pays ».
Réconcilier performances économiques et environnementales
Dans l'idéal, la solution serait selon lui de réconcilier performances économiques et environnementales. Présentant tous les bénéfices de l'agro-écologie d'un point de vue scientifique, il explique : « Le premier principe est l'usage intensif d'une ressource naturelle renouvelable : le soleil. Objectif : maximiser la photosynthèse à l'hectare. Ce qui veut dire une couverture végétale la plus totale et la plus permanente possible. La permaculture utilise par exemple jusqu'à dix espèces végétales dans le même espace ». Et de poursuivre au chapitre des préconisations : « La biologie des sols (vers de terre, bactéries, champignons mycorhiziens...) va les rendre les sols poreux et permettre l'infiltration de l'eau. C'est aussi l'usage de l'azote de l'air pour la fabrication de protéines (coûteuses en énergie) : les légumineuses ; l'association étroite de l'agriculture et de l'élevage ; l'apporter d'éléments minéraux ; la protection des cultures (phéromones, répulsifs, insectes auxiliaires...) ». Tout rappelant que « bien évidemment, si l'on ne rémunère pas le travail, on échoue. Si la question n'était que technique, oui vous auriez toutes les raisons d'être optimistes. Maintenant si la question est politique... ».
Du tout bio dans les cantines financé par la Pac ?
Des propos qui n'ont pas manqué de faire réagir le public présent. A la question : « mais comment fait-on pour mieux rémunérer les agriculteurs ? », Marc Dufumier répond : « Il faudrait envisager différemment la politique agricole commune. Je proposerais qu'on réaffecte les neuf milliards d'euros de subventions, avec le tout bio dans les cantines en six ans et que le coût ne soit pas imputable aux parents d'élèves ni aux impôts locaux, mais à la Pac ; 1,6 milliard suffirait pour que tous les repas de restauration collective soient bio. Le reste serait attribué au paiement de services environnementaux rendus par les agriculteurs ». Xavier Fromont, de la Confédération paysanne, n'a pas manqué de donner sa vision : « Sur notre territoire les agriculteurs sont nombreux à être engagés dans des démarches positives : variétés anciennes, Ceta, fermes écoles, filières créatrices de valeur ajoutée... Par contre, l'une des clés pour que cette agriculture soit plus résiliente, c'est qu'il y ait beaucoup plus de paysans. Et ça c'est plus difficile. Stéphane Le Foll avait obtenu une surprime pour les 50 premiers hectares. Or la décision des ministres qui ont suivi a été d'enrayer ce système. On souhaite que la Pac serve à privilégier l'installation des jeunes ! ».