FÉDÉRATION NATIONALE PORCINE
Les éleveurs de porcs entre le marteau et l’enclume

Pris entre le marteau d’une augmentation sans précédent des coûts de l’aliment et l’enclume des marges de la grande distribution et de l’application qui se fait toujours attendre de la loi EGalim 2, les éleveurs de porc alertent sur les difficultés à maintenir la filière à l’équilibre. Retour sur l’assemblée générale de la FNP qui s’est déroulée dans l’Ain, les 9 et 10 juin derniers, en présence de la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert

Les éleveurs de porcs entre le marteau et l’enclume
Avec un coût de l'aliment élevé et un prix du porc au kilo bas, l'effet ciseau met à mal les producteurs de porcs avec une perte de 30 ct€/porc. Photo/MargauxLegras-Maillet

Après deux années de perturbations liées à la Covid, la fédération nationale porcine a pu enfin tenir son assemblée générale en présentiel, et c’est l’Ain qu’elle a choisi. Le 10 juin dernier, c’est à Bourg-en-Bresse que son président, François Valy, présentait les faits marquants de l’année 2021 et début 2022, avec une invitée de marque en la personne de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Une assemblée générale sur le thème de « la résilience de l’élevage de porc français face aux enjeux de souveraineté alimentaire », point de conjoncture à l’appui présenté par Élisa Husson, du pôle Économie de l’Ifip – Institut du porc. Les éleveurs de porcs sont confrontés à une situation critique. Principales causes : un effondrement des cours dès l’été 2021 suivi par l’explosion des coûts alimentaires depuis mars dernier et la guerre en Ukraine. « Au premier effet ciseaux des prix fin 2021, qui sera atténué en partie par le plan d’urgence, et la hausse du cadran en mars, succède un second effet ciseaux depuis avril qui a motivé le plan de résilience ouvert le 30 mai. Le ministre a été réactif avec un soutien exceptionnel et inédit de 350 M€ pour l’élevage de porc français. Du jamais vu ! Avec l’expertise de l’Ifip, d’Inaporc, des banques et des CER, la FNP a négocié ces soutiens temporaires de l’Etat pour permettre à un maximum d’éleveurs de passer le cap », se félicite François Valy. Une aide qui ne doit pas masquer le cœur du problème : « Il n’y a pas d’autre choix pour la filière que l’aval et bien sûr les GMS passent des hausses de prix. Pour rémunérer le travail et les capitaux, ce prix payé devrait être de plus de 2 €/kg or il reste bloqué depuis deux mois à 1,85 €… ». Carole Joliff, secrétaire générale de la FNP, éleveuse dans les Côtes-d’Armor, témoigne : « J’ai 170 truies en Label rouge. En année correcte j’ai environ 280 000 € en charge alimentaire. Début mai, il me fallait, pour le même stock, 150 000 € supplémentaires. Ça ne peut plus durer. Aujourd’hui les éleveurs perdent jusqu’à 40 € par porc. C’est un gouffre financier. On va perdre énormément d’éleveurs si ça continue ». 
 
Loi EGalim 2 : dialogue de sourds avec les opérateurs de l’aval
 
Pour enfoncer le clou, sur le volet des relations commerciales, la loi EGalim 2, votée en octobre dernier, n’est toujours pas appliquée par les opérateurs. « Il est pourtant légitime et nécessaire que le coût de production soit pris en compte dans la chaine de valeur. Le travail de l’éleveur ne doit plus être la variable d’ajustement », martèle François Valy. Une situation d’autant plus inacceptable que, toujours selon le président de la FNP, les chiffres de l’Observatoire de la formation des prix et des marges indiquent que les marges brutes aval, et en particulier des GMS en charcuterie, « peuvent permettre cette hausse nécessaire de la matière première, sans même modifier le prix consommateur ».  À la question « où est passée la marge ? », Philippe Duriez, directeur général du groupe Aoste, se défend : « Depuis 25 ou 30 ans, un maillon n’a jamais perdu, c’est la distribution. Moi je revendique la transparence. Nous avons mis en place depuis quelques années dans nos groupes des contrats, avec un système d’indexation sur le prix du porc. On s’engage sur un nombre de camions par semaine, indexés sur le cours du porc. On ne spécule pas ». Et Carole Joliff d’insister : « Quand on perd une filière, il faut pouvoir savoir un peu s’assoir sur ses marges ». Sans oublier le coût de la castration. À ce sujet le président de la FNP se veut sans concessions : « on maintient une demande claire : la qualité, ça se paie. Si l’aval demande une qualité particulière dans l’équilibre gras-maigre de mâles castrés ou immun castrés, le surcoût doit être pris en compte ». Une expertise de l’Ifip indique un surcoût de 13 centimes par kg. Or la grande majorité des abatteurs sont pour l’heure très loin du compte… Des propos confirmés par François-Régis Huet, secrétaire général de la FNP, en visio : « Le texte est sorti. Le surcoût ne devra pas être à la charge du producteur. Mais les négociations n’avancent pas. Certains grands noms de l’abattage font des propositions à deux ou cinq centimes, pour d’autres c’est silence radio, alors que ce surcoût aurait dû être payé à partir du 1er juin. Syndicalement, il va falloir que l’on intervienne rapidement ».
 
Créer les conditions pour retrouver de la rentabilité
 
Retrouver de la rentabilité est l’urgence absolue, faute de quoi les arrêts de production, déjà enclenchés dans certaines régions, risquent de s’accélérer et de mettre en danger l’équilibre de toute la filière (fabricants d’aliments, centres d’insémination, abattoirs et salaisonnerie…). Sur le sujet de l’alimentation animale, la FNP travaille activement, en lien avec la FNSEA et l’AGPB (Association générale des producteurs de blé), à la sécurisation de l’approvisionnement des élevages « pour lisser, au moins pour une partie des volumes, l’extrême volatilité des prix », mais aussi des débouchés de l’alimentation animale (en France un hectare sur cinq de céréales et un hectare sur deux d’oléoprotéagineux vont à l’alimentation animale). À la clé : pouvoir continuer à moderniser les bâtiments d’élevage, améliorer les conditions sanitaires et la biosécurité, progresser sur le bien-être animal ou encore relever le défi de l’air alors que l’élevage porcin est un modèle d’économie circulaire. C’est aussi conforter la consommation intérieure qui, selon François Valy, « doit rester le socle de notre filière derrière la bannière du Porc Français. Et pour nos produits d’excellence en charcuterie, peut-être faut-il s’inspirer des réussites de nos concurrents espagnols ou italiens sur le marché européen en particulier… Nous sommes aujourd’hui en France à 106 % d’autosuffisance en viandes de porc, mais l’arrêt de production risque de se dégrader rapidement avec, à terme, un recours massif à l’import qui serait un énorme gâchis pour une filière d’excellence ! ». Une dimension européenne qui conforte l’implication de la FNP au sein du groupe porc du Copa-Cogeca.

Patricia Flochon