RENCONTRE
Gestion de l’eau : les agriculteurs en ont marre d’être les boucs émissaires

Margaux Legras-Maillet
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Une trentaine d’agriculteurs, élus locaux et syndicaux ont participé à la première édition des Jeudis de l’agriculture de 2023 à Saint-Vulbas, jeudi dernier. Parmi les sujets évoqués, la question de l’irrigation a été largement débattue.  

Gestion de l’eau : les agriculteurs en ont marre d’être les boucs émissaires
Rémy et Florian Barge ont accueilli les Jeudis de l'agriculture. PHOTO/ MLM

Lancés en octobre 2021 par la FDSEA, le troisième jeudi de chaque mois, les Jeudis de l’agriculture ont bien pris auprès des agriculteurs adhérents. Ces rencontres permettent aux adhérents du syndicat d’échanger avec leurs élus sur les enjeux auxquels ils sont confrontés au quotidien. La semaine dernière, rendez-vous était donné à Saint-Vulbas, à l’EARL de Ricoty, sur l’exploitation céréalière de Rémi Barge et de son fils Florian. Une quinzaine d’exploitants étaient présents, ainsi que de nombreux élus syndicaux et locaux, à l’instar du député Romain Daubié (Ensemble !) 
 
 L’eau, un vrai sujet 
 
Les discussions ont rapidement porté sur l’utilisation de l’eau sur ce secteur particulièrement irrigué. Après les récentes annonces de sécheresse hivernale, le classement de la Dombes Sud en situation d’alerte renforcée par la préfecture fin février a fait resurgir la crainte de nouvelles restrictions de prélèvement. Une situation jugée injuste pour la plupart des agriculteurs présents, à l’instar de Daniel Martin, désormais à la retraite, mais qui a souhaité rappeler le contexte historique : « L’irrigation s’est développée dans les années 1960 et aujourd’hui cultiver sans irriguer chez nous n’est plus viable. Ici, 90 % de l’eau d’irrigation provient du Rhône, c’est 60 % pour la Plaine de l’Ain. Ça a été une volonté de notre part de laisser les forages des nappes pour aller sur des ressources avec moins de pression. Il y a eu de vrais investissements financiers, à charge en partie pour les agriculteurs. » D’après les données de l’ancien exploitant, le prélèvement d’eau destiné à l’irrigation représenterait quelque 35 millions de mètres cube (Mm3) sur le département et 6 Mm3 seraient directement pompés dans le Rhône et non plus dans les nappes. « Faites le calcul. Le Rhône, c’est 550 m3/s. On l’arrête pendant trois quart d’heures et on récupère cette eau, on obtient 35 Mm3. »
 
Des efforts peu reconnus selon les irrigants 
 
Des chiffres sur lesquels Gilles Brenon, a bien volontiers rebondi : « 6 Mm3, ce n’est pas énorme. En novembre 2021, j’avais mesuré sur ma commune, en une semaine, il était tombé 4 Mm3, et on en n’a pas retenu une goutte… » L’élu syndical a aussi souligné les efforts variétaux du secteur pour limiter la consommation en eau des végétaux. Il fustige par ailleurs le traitement inégal que subissent les agriculteurs par rapport aux autres utilisateurs d’eau tels que les industriels dans les médias et la société. « On a demandé aux industriels d’économiser l’eau des réseaux d’eau potable de 20 à 30 %, explique Daniel Martin, également maire de Blyes. Ils l’ont fait, en fait des forages… Alors souvent, ils la retraitent et la remettent dans le circuit, mais au départ, ils l’ont quand-même prélevé dans la nappe ! » 
Un sentiment d’injustice partagé par l’hôte de la rencontre, Florian Barge. Les efforts du monde agricole pour réduire les prélèvements en eau ne sont pour lui pas assez reconnus par le reste de la société : « On nous met une grosse pression médiatique et au niveau associatif. En 1976 on faisait 15 quintaux (qtx) de maïs à l’hectare (ha) en moyenne, une centaine en 2003 avec de l’irrigation et en 2022, j’étais à 150 qtx/ha donc on voit que les efforts, on les fait et ça sort de notre poche ! » 
 
Aux agriculteurs de se rapprocher de leurs élus 
 
Des initiatives contrariées par une mauvaise presse. Pour y remédier, Théo Morin, président de canton des Jeunes agriculteurs, a souligné l’importance pour chacun de se faire connaître auprès de ses élus locaux et des habitants de sa commune. Pour les exploitants, l’enjeu ne se limite pas à simplement redorer l’image de l’agriculture. Il en va de la souveraineté alimentaire. Moins d’eau veut dire moins de production et donc par extension plus d’importations. « Avec 1 ha de maïs en France on produit 14 tonnes, au Brésil, c’est 7 tonnes seulement. Si la demande augmente, ils vont aller chercher du volume, donc de l’hectare et ils vont déforester. C’est notre problème à nous aussi de ne pas délocaliser notre production », s’insurge Florian Barge. Les irrigants espèrent aussi qu’en expliquant leur métier au reste de la société, il leur sera plus aisé d’obtenir les autorisations pour construire des retenues d’eau. « On en la volonté politique, mais c’est impossible à faire dans le département. À Saint-Eloi, chez Romain Michon, il voudrait faire une petite retenue pour arroser 15 ha, il ne peut pas car c’est sur une zone humide alors que cette retenue pourrait aussi permettre de recréer un écosystème », ajoute Jérôme Martin, céréalier à Loyettes. 
Malgré ces adaptations, les scénarios climatiques les plus pessimistes présagent d’une baisse de 30 % du débit du Rhône, avec en toile de fond la peur de devoir faire passer le refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey ou les industriels en priorité, au détriment des agriculteurs. Les agriculteurs pourraient-ils réduire de 30 % leur prélèvement dans le Fleuve ? Interrogé à ce sujet par Le Progrès, Florian Barge a répondu sans détours : « Quand on pompe dans le Rhône, son débit est autour de 550 m3/s. Lorsqu’il est au plus bas, autour de 150 m3/s, on ne pompe pas. Même s’il baissait de 30 %, on ne pompe que 4 m3/s donc on n’atteindrait pas ce seuil. Où est le problème ? » 
L’hôte de la matinée a toutefois préféré la rencontre sur une note positive en remerciant l’initiative du Marathon de la Biodiversité qui lui permet de réimplanter deux kilomètres de haies sur son exploitation.