UNION EUROPÉENNE
Parole d’eurodéputé : « On ne peut pas signer d’une main le Green deal et de l’autre le Mercosur ! »

Margaux Balfin
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L’eurodéputé de la majorité présidentielle et éleveur Jérémy Decerle est venu partager son expérience de parlementaire sur la question agricole devant une cinquantaine de personnes, vendredi dernier à Lent où il l’invité d’honneur du maire de la commune Yves Christin, et de la députée Olga Givernet. 

Parole d’eurodéputé : « On ne peut pas signer d’une main le Green deal et de l’autre le Mercosur ! »
Jérémy Decerle, agriculteur en Saône-et-Loire et eurodéputé. Photo/MB

Jérémy Decerle a repris la ferme familiale en 2008 et élève une cinquantaine de Charolaises sur une centaine d’hectares. Eurodéputé depuis juillet 2019 il est à l’époque sollicité par le ministre de l’Agriculture pour rejoindre la liste de la majorité présidentielle aux élections européennes. Alors président départemental des Jeunes agriculteurs, il négocie un billet de sortie avec le syndicat pour se présenter. Invité par le parti Renew à Lent vendredi soir, il est revenu sur son expérience de parlementaire européen devant une cinquantaine de personnes. 

Conditionnalité Pac : l’essai bientôt transformé ? 

Il a entre autres participé au chantier de la nouvelle programmation de la Pac dont il se montre plutôt satisfait et dont il a tenu à défaire certains raccourcis : « Nous avons essayé, et je pense que l’on a pas trop mal réussi, à conserver une dimension économique avec un niveau d'aide directe assez stable pour ne pas trop secouer les exploitations. Quand on entend que 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs, ce n'est pas vrai. L'autre aspect de cette Pac, c'est la dimension environnementale que l'on a voulue davantage axer sur des objectifs de résultats et un peu moins sur des objectifs de moyens. » 

L'eurodéputé a également évoqué les changements en cours sur les conditions d'attribution des aides. « Auparavant elles étaient intégralement indexées sur la surface, dès lors qu'une personne avait un lopin de terre elle pouvait toucher des aides Pac. Nous, nous avons demandé à ce qu’elles soient plutôt conditionnées au travail des agriculteurs. Ça avance et on est train de transformer l'essai. »

Pour plus de « patriotisme alimentaire »

Le légaliste n’en oublie pas moins son passé de militant syndicaliste. En réponse aux récentes mobilisations, Jérémy Decerle a ainsi appelé à plus de « patriotisme alimentaire ». Une crise peut en cacher une autre, et derrière la crise agricole, c’est celle de la reconnaissance de toute une profession qu’il dénonce. Questionné sur les réelles marges de manœuvre du gouvernement pour faire appliquer les annonces de Gabriel Attal qui seraient du ressort européen, Jérémy Decerle salue, bon gré malgré, le recours inédit aux préfets pour garantir leur mise en place. 

Il le concède toutefois volontiers, les règles du jeu à Bruxelles ne sont pas les siennes. Indifférent aux « oppositions stériles entre institutions européennes », l’eurodéputé n’en est pas moins critique à l’encontre de la Commission européenne qu’il juge trop empreinte d’élitisme et déconnectée des réalités. « La problématique vient de la Commission européenne, c’est elle qui écrit les textes. On ne peut pas signer d’une main le Green deal et de l’autre le Mercosur », s’indigne-t-il. Jérémy Decerle le répète, il veut en changer « l’état d’esprit et les règles ». Rien de mieux que la bonne vieille méthode du retour à l’envoyeur. « La Commission est indépendante et elle a tout intérêt à ce que ses textes soient votés, mais à force de les retoquer, elle changera », assure-t-il. « Beaucoup de textes ont déjà été retoqués sur les sujets agricoles comme celui sur la baisse des émissions de CO2. Aujourd’hui, la Commission essaie de passer en force donc on va instaurer des clauses de sauvegarde. » 

« Il y a un manque de pragmatisme »

A comme agriculteur ou comme apolitique ? Jérémy Decerle est d'abord un élu au service de la profession, hostile à l’opposition des modèles agricoles. Avec une verve teintée de bon sens paysan, il s’en porte garant, les agriculteurs ont toujours suivi le mouvement ; mais trop, c’est trop. « Nous avons perdu un million de vaches en dix ans, et aujourd’hui nous allons les chercher ailleurs, dans des conditions déplorables. Je préférerais que l’on produise plus de porcs en Saône-et-Loire comme c’était le cas dans les années 1950, mais aujourd’hui ce n’est plus possible d’installer une seule porcherie. À croire que les gens pensent que le jambon pousse sur un cochonnier… », s’insurge-t-il face au florilège de normes environnementalistes détachées de pragmatisme. C’est avec le même ton acerbe qu’il s’en prend aux « hurluberlus écologistes » : « Ce sont eux qui nous font du mal. Il y a un manque de pragmatisme. On ne fait pas de la monoculture de maïs pour se faire plaisir. On le fait parce qu'il y a une demande, il y a une économie derrière, des gens et des animaux qui mangent ! » 

Apostrophé par une personne de la salle sur le soi-disant manque de représentativité du président de la FNSEA vis-à-vis du monde agricole et qui défendrait davantage les « gros », Jérémy Decerle n'a pas non plus manqué de marquer sa fidélité au syndicat et a rappelé qu'Arnaud Rousseau était élu par la profession dont 200 000 agriculteurs sont adhérents à la FNSEA. Fidèle à ses origines et à son parti, Jérémy Decerle l’est aussi à lui-même. Assertif, il n’a d’ailleurs pas hésité à voter contre l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Et de concéder : « je considérais cette fois-ci que l'agriculture n'était pas bien traitée ». Après un bref coup par-dessus l’épaule, aujourd’hui il le revendique : « les textes dont (il est) le plus fier sont ceux sur l’agriculture ».


*Renaissance en français, parti de la majorité présidentielle au Parlement européen.