TRI DES BIODÉCHETS À LA SOURCE
Tri des biodéchets et sociétés de compostage : la difficile entrée dans les mœurs
Les premières campagnes d’épandage de compost de l’année prennent fin en ce début avril. L’occasion de revenir sur cette économie circulaire à l’heure où la nouvelle réglementation en matière de biodéchets se met doucement en place dans les territoires.
Depuis le 1er janvier 2024, la généralisation du tri à la source des biodéchets est obligatoire pour tous les ménages, collectivités locales et entreprises, conformément à la directive européenne 2018/851 et la loi « Antigaspillage pour une économie circulaire » du 10 février 2020. Les biodéchets ce sont ces « déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires » (article L. 541-1-1 du code de l’Environnement).
Un agrément sanitaire nécessaire
Tri, stockage, évacuation … la gestion de ces biodéchets n’est pas une mince affaire et implique de véritables savoir-faire dont les maîtres-composteurs sont les plus fervents ambassadeurs. Plusieurs solutions de valorisation en local existent néanmoins, certaines individuelles comme les lombricomposteurs installés au fond du jardin ; d’autres, plus collectives. Le compost est l’une d’entre elles. Encore faut-il que les sociétés de compostage détiennent l’agrément sanitaire adéquat pour accueillir ces biodéchets et notamment les biodéchets alimentaires carnés. Certaines ont anticipé et déposé leur demande avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation.
C’est le cas d’ADFE (Compost Ain) à Baneins qui a obtenu l’agrément sanitaire pour accueillir des biodéchets au début de l’année. Trois mois plus tard, l’entreprise produit environ 1 000 tonnes de compost à partir des biodéchets, en plus des 6 000 tonnes de compost de déchets verts. « Il n’y a pas eu de grand changement dans notre manière de faire depuis que nous avons des biodéchets puisque nous cherchions déjà à hygiéniser nos déchets verts auparavant pour éliminer les adventices comme nous sommes par ailleurs agriculteurs », explique Clément Dubost, à la tête d’ADFE. Tout son compost est ensuite vendu à des maraîchers et en vente directe auprès des particuliers. Lui-même agriculteur, Clément Dubost en valorise aussi une bonne partie chez lui en grandes cultures.
Une demande grandissante
De manière générale, il constate un plus grand intérêt pour le compost avec la hausse du prix des engrais ces dernières années. « J’en aurais deux fois plus, j’en vendrais deux fois plus. Il y a clairement une augmentation de la demande, et notamment des particuliers. Elle est liée à la hausse des prix, mais je pense aussi que le taux de matière organique et la vie du sol a de plus en plus d’importance aux yeux des gens », explique-t-il.
Il faut dire que le compost de biodéchets est très complémentaire du compost de déchets verts. « Il y a plus d’azote disponible plus rapidement pour les plantes », précise Clément Dubost. Pour l’instant les tonnages sont encore trop insuffisants pour avoir une quelconque incidence à ce niveau dans les mélanges de compost, mais cela pourrait changer à terme. « Le jour où on sera à 50/50, la teneur en azote sera sûrement améliorée », assure le patron d’ADFE.
« Même avec le tri à la source il y a des erreurs »
Depuis l’obtention de son agrément, la société de compostage travaille avec un privé pour la collecte des biodéchets – Bruno Millot (voir encadré page 3). Un nouvel itinéraire tracé, mais le trafic reste perturbé. « Même avec le tri à la source, il y a encore des erreurs de tri », regrette Clément Dubost. Pour l’instant, Bruno Millot trie du mieux qu’il peut les cargaisons de biodéchets qu’il collecte, réservant les « plus propres » à ADFE. « Le reste, on le trie à la main lorsqu’il y a des plastiques », concède Clément Dubost. Une situation temporaire qui ne saurait s’éterniser. C’est pourquoi les deux sociétés projettent d’investir dans un déconditionneur pour trier les biodéchets de déchets indésirables types plastiques. « Nous sommes en train de monter le projet d’investissement et nous espérons obtenir des financements de la Région, pour une construction en 2025, avance Clément Dubost. Il nous faut un bâtiment parce que c’est un process qui nécessite d’être lavé très régulièrement et d’être à l’abri du vent. » Pour ce qui est de valoriser les indésirables qui seront extraits du déconditionneur, « les filières ne sont pas encore écrites, et je pense que l’on se tournera dans un premier temps vers de l’incinération », concède Clément Dubost, également membre des Agriculteurs composteurs de France.
Biodéchets et méthanisation : une combinaison gagnante
Un problème que connaît aussi bien Cédric Gardoni de la société ASE à Ambronay qui produit des composts à partir de déchets verts (2 000 à 2 5000 tonnes), d’effluents d’élevage et de boues de stations d’épuration (environ 3 000 tonnes). Si la société de compostage n’a pas encore l’agrément pour composter des biodéchets, Cédric Gardoni sait que le chemin sera encore long : « L’une des principales problématiques pour le compostage, c’est que les biodéchets doivent être complètement triés à la source et aujourd’hui on voit déjà des problèmes chez les acteurs de la grande distribution autour de nous, avec des légumes et des fruits encore emballés. Une benne sur deux présente aujourd’hui des anomalies de tri. Tout part à l’enfouissement. » Les sociétés de compostage représentent pourtant une vraie solution de valorisation pour les collectivités qui chercheraient à stocker, produire du compost ou acheter du broyat pour leurs composteurs collectifs. « Le tri sélectif déconditionné par les usagers n’est pas encore dans les mœurs… », concède Cédric Gardoni. Or, le recours à un biodéconditionneur est très complexe en société de compostage.
C’est pourquoi, Cédric Gardoni a intégré un collectif d’agriculteurs porteur d’un projet de méthanisation à Ambronay. « C’est selon nous la meilleure technique de valorisation des biodéchets d’un point de vue local en y ajoutant la valorisation énergétique. En unité de méthanisation, on peut imaginer une solution de biodéconditionnement chez nous ou de manière extériorisée. » La valorisation des biodéchets en compost ne serait qu’une solution temporaire pour ASE qui espère obtenir l’agrément au mois d’octobre, la construction de l’unité n’étant pas prévue avant fin 2025 au plus tôt.