INTERVIEW
« Il y a encore un bâti inoccupé colossal en zone rurale »

Emmanuel Hyest, le président de la FNSafer salue les avancées de la loi climat tout en prévenant que son application supposera, tant pour protéger le foncier agricole que pour faciliter l'action des maires, de mettre à disposition des collectivités les outils et aides nécessaires.

« Il y a encore un bâti inoccupé colossal en zone rurale »
Emmanuel Hyest, le président de la FNSafer. ©OiseAgricole

Que pensez-vous du dispositif final retenu par la loi climat en matière de lutte contre l'artificialisation ?

Emmanuel Hyest : « Je trouve tout d'abord positif que la représentation nationale ait pris des positions sur ce sujet. Nous avons désormais dix ans pour diviser par deux l'artificialisation, ce qui est rapide, mais possible. Quand nous avons été interrogés par les parlementaires, j'avais cependant suggéré qu'il n'y avait pas besoin de règles supplémentaires : les documents d'urbanisme en fixent déjà beaucoup, et il suffirait de mettre bien en œuvre les Scot, et de bien les articuler avec les autres documents d'urbanisme. Il faut maintenant encourager une nouvelle vision du développement qui ne consisterait pas à artificialiser, mais à reconstruire la ville sur la ville. Par exemple avec ces parcs d'activité aménagés avec des espaces verts. C'est contre-productif. En pensant préserver l'environnement, on artificialise plus de terres agricoles et on accentue l'étalement urbain. »

Craignez-vous que la répartition de l'effort au sein des régions ou les différentes dérogations prévues mettent en danger l'atteinte de l'objectif ?

E.H : « Un risque existe bien en zone rurale : les communes peu denses ou très peu denses sont celles où l'on consomme le plus de terrain rapporté à l'habitant. On assigne à ces mêmes territoires ruraux de plus en plus d'objectifs nécessitant du foncier : protection de l'eau, production alimentaire, lutte contre les inondations… Mais il y a encore un bâti inoccupé colossal en zone rurale, qui nécessiterait de l'ingénierie financière pour être valorisé. Nous avions donc recommandé aux parlementaires de mettre en place un accompagnement par un organisme équivalent à l'Agence nationale de rénovation urbaine pour aider les élus de terrain. »

Comment les Safer pourront-elles accompagner la mise en place de ces nouvelles dispositions ?

E.H : « En tant que Safer, nous pourrions mettre à disposition des décideurs des outils d'alerte. Nous sommes aussi prêts à accompagner les porteurs de projets. Nous avons par exemple déjà des relations avec la Fnaim, avec laquelle nous essayons de définir quels types de biens, comme des corps de ferme ou des bâtis de qualité, peuvent présenter des enjeux de développement local au-delà de leur seule valeur immobilière, par exemple être reconvertis en entreprise, en atelier… Sur ce type de sujet, des réflexions entre aménageurs, collectivités et Safer pourraient avoir du sens. »

La loi climat encourage les compagnies aériennes à compenser leurs émissions sur le territoire européen. L'enjeu du stockage de carbone pourrait-il augmenter l'appétit pour le foncier agricole ?

E.H : « Nous n'observons pas encore de personnes qui achèteraient des terres agricoles par anticipation de la demande en compensation. Mais nous commençons à entendre des bruits çà et là, et la profession doit mener une véritable discussion sur le sujet. Pour nous, l'objectif doit être plutôt de donner aux agriculteurs des moyens financiers complémentaires pour accompagner des nouvelles pratiques qui complexifient leur travail. Dans certains cas, la compensation pourrait même alors être vecteur d'emplois. »

Propos recueillis par Ivan Logvenoff