INTERVIEW
Jean-Marie Fabre « L’agroécologie fait partie de la boîte à outils »

Les Vignerons indépendants ont organisé leurs Rencontres nationales en Touraine les 28 et 29 mars. Ils ont exploré l’agroécologie comme outils pour s’adapter au dérèglement climatique. Interview de Jean-Marie Fabre, le président du syndicat.

Jean-Marie Fabre « L’agroécologie fait partie de la boîte à outils »
Jean-Marie Fabre, le président du syndicat.

Pourquoi avoir choisi l’agroécologie comme thème de vos Rencontres ?

Jean-Marie Fabre : « L’agroécologie fait partie de la boîte à outils permettant de s’adapter au dérèglement climatique au même titre que l’assurance récolte, la réserve climatique, les mesures fiscales et sociales, l’innovation, la protection du vignoble. La vie du sol permet de limiter les effets du changement climatique. Une partie de l’adaptation du viticulteur est donc liée à sa pratique au quotidien. Exemple, un enherbement piloté génère plus de matière organique. Et plus le sol retient d’eau, plus la plante s’en sert, favorisant l’évapotranspiration qui intervient dans le cycle de l’eau. Les deux tiers de la pluie sur les continents proviennent de l’évaporation, pas des océans. L’intérêt d’avoir un sol riche en matière organique, au-delà de mieux nourrir le végétal, c’est aussi en termes de biodiversité. Des vignerons précurseurs l’ont compris et sont convertis à l’agroforesterie, l’agroécologie. »

La réforme de la haute valeur environnementale (HVE) a-t-elle un impact sur l’adhésion au dispositif ?

J-M F : « C’est trop tôt pour le dire. Au bout des trois ans de certification, l’impact sera mesurable. On verra si les modifications ont eu l’effet recherché : orienter un maximum d’entreprises vers des pratiques plus vertueuses mais qui restent en agriculture conventionnelle. À aucun moment il n’a été question d’assimiler la haute valeur environnementale à la bio, aussi bien chez les Vignerons indépendants qu’au sein de l’association pour le développement de la HVE. L’évolution du cahier des charges a été poussée par ceux qui veulent faire de la HVE quelque chose d’élitiste comme la bio. C’est une erreur, parce que cela met en concurrence deux démarches aux approches différentes. D’un côté, l’agriculture biologique repose sur l’utilisation d’intrants d’origine naturelle, qui se traduit par un coût élevé. De l’autre, la HVE vise à améliorer graduellement la performance environnementale, avec un label « made in France ». L’intérêt d’une certification nationale est de se distinguer par rapport à l’étranger. Si on ne favorise pas cette évolution des pratiques en conventionnel, il y a un risque d’importer massivement des produits issus d’une agriculture prétendument aussi vertueuse mais ayant recours à des produits dangereux. En viticulture, la réforme de la HVE va se traduire par énormément de contraintes supplémentaires qui peuvent dissuader les entreprises. J’ai peur d’un ralentissement des certifications parce que la première marche sera devenue trop haute. »

Comment les vignerons indépendants surmontent-ils la crise du secteur viticole ?

J-M F : « On ne peut pas parler de crise viticole française. La situation est différente d’un bassin de production à l’autre, en fonction des entreprises. Une bonne dynamique existe pour les effervescents, les blancs. Des difficultés conjoncturelles et/ou structurelles peuvent apparaître en rouge. Y répondre d’une seule manière serait une erreur. Bordeaux s’est engagé dans un recalibrage des surfaces, face à une production excédentaire depuis des années. L’autre solution est un recalibrage des volumes, pour s’adapter à la contraction de certains marchés concernant les rouges et rosés. Il s’agit maintenant de renforcer la filière. J’appelle à faire du secteur viticole une grande cause nationale. Parce que la consommation mondiale ne cesse d’augmenter, au rythme de 1,5 à 2,5 % par an. La France doit renforcer ses actions commerciales et conquérir des parts de marché. Des handicaps se sont accumulés. Les taxes Trump entre 2019 et 2020 ont profité à nos concurrents sur le marché américain, où le vin français peine à regagner le terrain perdu. Bon nombre de débouchés se sont fermés lors du Covid, obligeant les entreprises à s’endetter. Les aléas climatiques de 2021 ont réduit les volumes de production, ce qui entame la capacité de remboursement. Enfin, l’inflation représente plus de 21 % du prix d’une bouteille. Autant de raisons pour lesquelles une campagne de promotion doit être menée sur des pays cibles. L’idée est de mobiliser le soutien de la diplomatie française. »

Propos recueillis par Jean-Christophe Detaille