INTERVIEW
“ Il manque un maillon représentatif de la profession agricole ”

Le chercheur et enseignant Bertrand Valliorgue, professeur en stratégie et gouvernance des entreprises à l’EM Lyon, revient sur la place des plans de filière dans la loi Egalim 2. Avec, d’après lui, un pilotage national qui se révèle indispensable.

“ Il manque un maillon représentatif de la profession agricole ”
Bertrand Valliorgue, professeur en stratégie et gouvernance des entreprises à l'EM Lyon. ©Hectar

Le monde agricole s’est-il, selon vous, saisi des plans de filière ?

Bertrand Valliorgue : « L’objectif fondamental de la loi issue des États généraux de l’alimentation (EGA) était de mettre un terme à la déflation ou à la stagnation des matières premières agricoles. Pour éviter ce dumping social, l’idée était de construire des prix à partir des coûts de production, notamment dans le secteur de l’élevage. Si cette loi a été plutôt bien acceptée par la plupart des opérateurs de la grande distribution et de l’industrie, elle a en revanche été fraîchement accueillie par le monde agricole. Les interprofessions et les filières ne voulaient pas de cette loi, et la coopération agricole avait même lancé un recours au Conseil d’État. Aujourd’hui, alors que le contexte inflationniste pousse aussi l’aval à remettre ce dispositif en cause, il ne se trouve donc plus beaucoup de voix pour le défendre. Il a manqué selon moi un maillon représentatif de la profession agricole, les organisations de producteurs par exemple qui auraient pu s’engager sur la construction des prix et le développement des plans de filière. La loi aurait dû enclencher cette dynamique-là. »

Les interprofessions étaient-elles, à vos yeux, le bon échelon pour encourager le changement dans les filières ?

B.V. : « Il n’y avait pas d’acteurs plus indiqués pour mettre tout le monde autour de la table. Mais peut-être que les incitations et les sanctions n’ont pas été assez fortes. Les pouvoirs publics, en étant trop « laisser-fairistes », ont sans doute raté quelque chose. Il aurait très probablement fallu exiger des objectifs précis et opposables. Entre le Covid, l’Ukraine ou encore la peste porcine africaine, de nombreuses crises récentes ont aussi changé le contexte : plusieurs plans évoquent par exemple l’agriculture biologique, mais le marché biologique a beaucoup ralenti dans plusieurs filières. »

Sur les enjeux environnementaux, comment les feuilles de route élaborées par les filières dans le cadre du Varenne de l’eau peuvent-elles compléter les plans issus des EGA ?

B.V. : « Les filières ont mis en avant deux messages à l’issue du Varenne de l’eau : la nécessité de sécuriser l’accès à l’eau et de faciliter l’utilisation des outils génétiques comme les NBT. Ce sont de vrais sujets, mais ces mesures ne suffiront pas pour affronter le nouveau régime climatique. Une réflexion et un discours de vérité par rapport aux agriculteurs sont nécessaires sur l’adaptation, l’évolution de certaines pratiques, le maintien de la biodiversité ou encore les choix de variétés voire de cultures. Le Varenne de l’eau a permis de soulever certains sujets, mais pour l’instant il ne donne rien de concret, et chaque filière avance de son côté. Comme pour les États généraux de l’alimentation et les plans de filière, il aurait sans doute fallu élaborer une projection de ce que l’on souhaite pour la ferme France, et du climat que les agriculteurs vont devoir affronter. »

Est-ce que la loi d’orientation agricole annoncée pour ce nouveau mandat pourrait être l’occasion d’un travail autour d’une grande feuille de route agricole ?

B.V. : « Pour moi, cette loi devra s’attaquer au sujet essentiel qu’est le changement climatique. Est-ce qu’il faut encore installer des jeunes en maïsiculture ou en lait dans le Sud-Ouest aujourd’hui, avec ce que l’on attend comme conditions en 2050 ? La question mérite d’être posée. Il s’agira donc d’élaborer un projet en croisant filières et territoires, non seulement pour accompagner la profession mais également pour lui faire prendre conscience que plus rien ne sera comme avant. Cet exercice mériterait d’ailleurs d’associer d’autres spécialistes qui ne participent pas forcément aux discussions autour de l’agriculture, comme les météorologues. »

Propos recueillis par Ivan Logvenoff et Yannick Groult