INTERVIEW
D.Chargé : « Le diagnostic des députés est le bon »

Dans son rapport présenté le 16 février à l'Assemblée nationale, la mission d'information sur les coopératives agricoles a présenté vingt-trois mesures pour « consolider et moderniser » le modèle coopératif. Le président de la Coopération agricole, Dominique Chargé, revient sur les principales propositions des députés.

D.Chargé : « Le diagnostic des députés est le bon »
la Coopération agricole, Dominique Chargé, président de La Coopération agricole. ©DR

Quel regard portez-vous sur le travail mené par les députés dans le cadre de la mission d’information sur la coopération agricole ?

Dominique Chargé : « C’est un travail rigoureux, bien documenté et bien argumenté. J’accueille favorablement le contenu du rapport qui pose les problématiques auxquelles la coopération doit faire face sans se laisser emporter par l’émotion collective du moment et par l’anecdote. Il expose bien la place que le modèle coopératif doit prendre pour répondre aux enjeux agricoles et agroalimentaires, notamment sur la question de la souveraineté alimentaire. »

À la suite de la publication du rapport, vous avez annoncé vouloir initier « un programme de travail ». En quoi consistera-t-il ?

D.C. : « Nous travaillons déjà sur un certain nombre de sujets en matière de gouvernance : celui de notre capacité à faire en sorte que les coopérateurs participent à la vie démocratique de leur coopérative, celui du renouvellement des administrateurs pour encourager l’investissement des jeunes dans la gouvernance, et celui de la place des femmes. Nous proposons d’ouvrir une réflexion avec l’ensemble des parties prenantes de notre écosystème. Elles ont le même intérêt que nous à ce que la gouvernance des coopératives fonctionne. »

Les députés émettent plusieurs recommandations pour pallier le déclin de la participation des adhérents à la vie démocratique des coopératives (mentorat d’administrateurs stagiaires, féminisation des conseils d’administration). Comment percevez-vous ces propositions ?

D.C. : « Le mentorat, qu’on appelle souvent parrainage, est un système déjà développé dans beaucoup de coopératives. Notre capacité à améliorer la participation aux débats fera que nous aurons la capacité d’intéresser des jeunes et des femmes et qu’ils aient envie de s’investir dans la gouvernance de leur coopérative jusqu’au poste d’administrateur. Je pense que les deux sujets sont intimement liés. Il faut, autour de la table, une représentation suffisamment large et fidèle à la diversité de la production et des territoires, et il faut que cette diversité se renouvelle. Nous avons tout intérêt à avoir une représentativité dans nos conseils d’administration qui soit à la hauteur de la représentativité des femmes. C’est à chacun de trouver le bon moyen de le quantifier. »

Êtes-vous favorable à l’obligation de formation dans les grandes coopératives ?

D.C. : « Quand on voit que 43 % des administrateurs confessent n’avoir jamais eu de formation, c’est évidemment un problème. J’ai beaucoup de mal à faire la différence entre les grandes et les petites coopératives. Quand on est administrateur d’une coopérative, on a la nécessité et le devoir de se former pour servir l’intérêt général. Certes, les enjeux peuvent être différents pour les grandes coopératives qui couvrent un territoire et des activités plus larges. Cela nécessite sûrement d’avoir une capacité à comprendre des phénomènes plus complexes. Pour autant, dans une coopérative de plus petite taille, il y a exactement les mêmes enjeux dans la réflexion, dans l’action, et dans la façon d’appréhender les intérêts de la coopérative, des territoires et des associés coopérateurs. Pour faire face aux enjeux du défi climatique, de l’écologie, de la biodiversité et de la rémunération des coopérateurs, tout le monde doit pouvoir se former. »

Les rapporteurs pointent la nécessité de favoriser la compétitivité des coopératives et de les aider à investir, par exemple, via les titres participatifs ou l’élargissement de la possibilité d’acheter aux agriculteurs non-coopérateurs et de leur vendre des services. Qu’en pensez-vous ?

D.C. : « Le diagnostic des députés est le bon. Les coopératives ont des capacités d’accès aux marchés limitées, étant donné leur modèle et leur mission. Ces dix dernières années, les coopératives ont amorti les crises successives dans un certain nombre de grandes productions. Elles se sont considérablement affaiblies en fonds propres. La moyenne des résultats nets des coopératives est de 0,5 % du chiffre d’affaires. Elles ristournent énormément de résultats vers leurs adhérents. Si nous voulons qu’elles continuent de jouer leur rôle dans les filières et sur les territoires, il y a une nécessité absolue de les conforter dans leur capacité d’avoir accès à des financements, pour investir et renforcer leurs fonds propres. Nous allons regarder de très près les moyens proposés. »

Lors des auditions, les députés ont relevé que la séparation de la vente et du conseil pour les produits phytosanitaires a pu être « contre-productive », pour citer l’un des rapporteurs Fabien Di Filippo. Partagez-vous ce constat ?

D.C. : « L’objectif de la loi de réduire les intrants chimiques de synthèse est le bon. Mais la solution de la séparation de la vente et du conseil ne répond pas du tout à cet objectif. Nous pensons qu’elle pourrait, au contraire, avoir l’effet inverse. Le conseil n’est plus assuré, les agriculteurs pourraient être tentés de ne pas engager de démarches d’évolution de leurs pratiques. Les coopératives sont toutes engagées dans la voie de la transition de nos pratiques agricoles, mais pour pouvoir accompagner les agriculteurs dans cette dynamique, nous avons besoin de les conseiller. La séparation de la vente et du conseil est une obligation de moyen et je pense qu’il vaut mieux travailler sur une obligation de résultat. »

Propos recueillis par Juliette Guérit