DISPARITION
Jacques Perrin, décédé la semaine passée, avait tourné dans l’Ain

Margaux Legras-Maillet
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Le réalisateur et acteur Jacques Perrin s’est éteint le 21 avril dernier à l’âge de 80 ans. Retour sur les coulisses du tournage du film Les Saisons dont une partie a été réalisée dans l’Ain. 

Jacques Perrin, décédé la semaine passée, avait tourné dans l’Ain
Jacques Perrin sur le tournage de Les Saisons. Photo/DR

Avec plus de 70 films à son actif, Jacques Perrin a marqué sa génération avec ses rôles dans Peau d’âne (1970) et dans Les Demoiselles de Rochefort (1967). Acteur, mais aussi réalisateur et producteur (il a notamment produit plusieurs films de Costa-Gravas comme Z), le chevalier blanc de la production indépendante était aussi connu pour ses films à teneur documentaire, engagés sur la nature. A l’image de Microcosmos (1996), Le Peuple migrateur (2001) ou encore Océans (2009), César du Meilleur documentaire en 2011. Son dernier film, Les Saisons (2016), qu’il a, comme un grand nombre de ses précédentes œuvres, co-réalisé avec Jacques Cluzaud, a en partie été tourné dans l’Ain et le Jura, dans la Dombes, près de Saint-André-de-Corcy et sur le plateau du Retord. Le film retrace 20 000 ans d’histoire complexe et tumultueuse entre l’Homme et la nature. 
 
En tournage, le bien-être des animaux était une priorité
 
Éric Bureau, vétérinaire au Parc des oiseaux à Villars-les-Dombes, l’a rencontré sur le tournage du Peuple migrateur avant de collaborer une seconde fois avec le réalisateur pour Les Saisons. Son rôle, participer à l’élevage technique d’une partie des oiseaux du tournage et assurer des soins vétérinaires.
Éric Bureau garde en mémoire un homme « très humain, un grand bonhomme, et surtout, c’est pour cela que ça a bien fonctionné, il était très attentif au bien-être des animaux. L’une de ses grandes qualités, c’est que lorsqu’il faisait confiance à quelqu’un, il savait écouter. » Un souvenir partagé par Sandra Lagnieu, ancienne soigneuse animalière au Parc des oiseaux, également présente sur le tournage de Les Saisons en 2013 et 2014 : « Les films de Jacques Perrin, c’était un peu comme une grande famille qui se retrouve au fil de ses projets. Il a beaucoup travaillé avec les mêmes équipes. Il était hyper attentif aux animaux et tout ce qui pouvait être trop stressant, anxiogène ou traumatisant pour les animaux, il ne le faisait pas. C’est quelqu’un qui faisait des films documentaires mais qui savait que quand on veut faire des choses avec des animaux, cela prend du temps. Pour faire des images les plus réalistes possible et les plus proches de l’animal, il pouvait prendre une équipe sur plusieurs années. » Éric Bureau reste marqué par une anecdote du tournage pour Le Peuple migrateur dont une partie a eu lieu au Sénégal avec des pélicans : « Les pélicans étaient malades, ça faisait deux ans que le tournage était prévu, le temps de leur apprendre à voler derrière un bateau, mais la priorité, c’était de s’occuper de leur santé. Je n’ai reçu aucune pression. »
 
Un précurseur de technicité 
 
Véritable précurseur en matière de techniques de tournage, Jacques Perrin a aussi donné beaucoup de fil à retordre aux ingénieurs de ses équipes. « Quand on chemine aux côtés de Jacques Perrin, qui dit nouveau film dit nouveaux défis. Voler avec les oiseaux au-dessus de la Terre ou bien nager avec les créatures marines à travers les océans représentait certes une gageure, mais nous entraînait nécessairement vers le spectaculaire », notait Jacques Cluzaud dans le livre retraçant le tournage de Les Saisons chez Actes Sud. Un chapitre met en scène une course poursuite entre des loups et des chevaux de la race tarpan. Cette scène, tournée près de Saint-André-de-Corcy, a donné lieu à la création d’une machine tout terrain pour l’occasion : « La mission était claire, il s’agissait de foncer à toute vitesse dans la forêt, au milieu d’une meute de loups gris ou d’un troupeau de chevaux. Défi relevé par Alexandre Bügel, l’ingénieur maison de la société de production de Jacques Perrin, Galatée Films (…). Sans faire aucun plan, Alexandre a désossé deux scooters à trois roues pour les accoupler et remonter un engin étrange, à quatre roues indépendantes absorbant les inégalités du terrain » (Extrait du livre Les Saisons).

Vol de grues cendrées, accompagné d’un ULM, pour le tournage du film Les Saisons. Photo/DR 

La même ingéniosité a permis de filmer un vol de grues cendrées, dont l’équipe était souvent basée dans le Jura, grâce à l’utilisation d’un ULM. Un tournage pas aussi simple qu’il n’y paraît car il a fallu composer avec le caractère parfois capricieux des grues, sans compter la nécessité de se caler sur leur vitesse de vol entre 45 et 80 km/h, « un record de lenteur pour un ULM » (ibid). 
 
Le rôle de l’imprégnation 
 
Le caractère de certaines espèces d’animaux n’a pas été une mince affaire. En effet, si seuls quelques animaux filmés dans Les Saisons sont véritablement sauvages, une grande partie a peu de contacts avec l’Homme et le matériel cinématographique auxquels il a fallu les habituer. « On parle souvent de documentaire, mais ce n’en n’est pas, c’est du cinéma, les animaux sont vus comme des acteurs », remarque Éric Bureau. « C’est là où intervient pour les désensibiliser », explique par ailleurs Sandra Lagnieu. Cette désensibilisation passe par l’imprégnation, c’est-à-dire par la création d’un lien de confiance entre l’Homme et l’animal, sans que celui-ci oublie à quelle espèce il appartient, un animal sauvage. « Pour Les Saisons, on a tourné avec des choucas, grives, étourneaux, pies, mésanges, huppes, etc. Sur toutes ces espèces, l’imprégnation n’avait jamais été testée, souligne Sandra Lagnieu. Pour Le Peuple migrateur, ils ont testé l’imprégnation avec des pélicans et perroquets mais qui avaient déjà un contact avec l’Homme, là on partait d’espèces sauvages. »

Sandra Lagnieu a participé à l’imprégnation des oiseaux pour les désensibiliser au contact des équipes et matériels de tournage. Photo/DR

Les équipes de soigneurs ont parfois travaillé avec les oiseaux dès leur sortie de l’œuf, Jacques Perrin avait fait installer des volières sur sa propriété en Normandie pour faciliter le travail. « J’ai fait beaucoup de nurserie la première année, et les oisillons doivent être nourris toutes les deux heures la journée, parfois je mangeais et je dormais avec les oiseaux, ça fait partie de l’imprégnation. Arrivés à l’âge presque adulte, mais pas encore en âge de voler, on les emmenait manger avec nous sur des perchoirs pour qu’ils s’habituent à d’autres personnes que nous, à des personnes calmes comme exubérantes. Des scènes ont été très compliquées au niveau de l’imprégnation, comme avec le rouge gorge, très territorial. De même que la tourterelle des bois qui est très sauvage. » Malgré un tournage complexe, Les Saisons figure encore aujourd’hui parmi les films documentaires les plus vus au cinéma avec près d’1 million d’entrées. 

M.L.M.