MATÉRIEL AGRICOLE
Fournisseurs et concessionnaires revoient leur politique de stock
Depuis plus d’un an déjà les fournisseurs de matériels agricoles subissent des pénuries de matières premières et de composants. Avec la guerre en Ukraine, l’allongement des délais de livraison ne s’est pas arrangé et est aujourd’hui couplé d’une hausse des prix et des taux d’intérêt. Alors les entreprises s’adaptent. Toutes affichent un bon exercice 2022 mais craignent le pire à venir.
Bernard matériels agricoles adapte ses pratiques d’approvisionnement
Pour le concessionnaire Massey Ferguson basé à Dagneux, aucune pénurie, mais le fournisseur a dû apprendre à anticiper l’allongement des délais de livraison. « Ça peut aller de quatre mois à un an », note Florian Cousin co-gérant de Bernard matériels agricoles. Pour les tracteurs, elle est principalement le fait de retards de transmission et de composants utilisés pour la régulation électronique, la pulvérisation et les distributeurs d’engrais. « Que ce soit pour une remorque, une charrue, une herse rotative ou un semoir, ce n’est pas que ça manque mais c’est long. Dans l’agricole on fonctionne par saison. Les gens achètent en décembre et voudraient leur matériel pour dans six mois, mais ce n’est pas suffisant », concède Florian Cousin. C’est pourquoi l’entreprise a depuis cette année changé ses habitudes d’achats et pratiquer une politique de stockage. « Aujourd’hui, on a du stock, mais il est vrai que c’est comme pour l’automobile, les gens achètent ce qu’il y a de disponible sur notre parc donc ça ne correspond pas forcément exactement à leur demande », poursuit le co-gérant. L’exercice 2023 a débuté en septembre et Bernard matériels agricoles affiche déjà quelques commandes à son actif mais l’entreprise espère un maintien de la rémunération des exploitants par les prix afin que la demande ne baisse pas avec la hausse actuelle des taux d’intérêt pratiquée par les banques.
L’entreprise affiche des délais de livraison de quatre mois à un an. Photo/Bernard matériels agricoles
Agri élevage plus : « Ce qui caractérise cette crise, c’est la hausse conjointe des prix et des taux d’intérêt »
L’entreprise située à Lescherous est spécialisée dans les équipements de bâtiments d’élevage, notamment de traite et est le principal revendeur local de la marque DeLaval. « La situation n’est pas uniforme. Il y a des soucis pour certaines choses, notamment les composants électroniques et certains métaux, mais d’autres ne sont pas affectées. Malheureusement, il suffit qu’un seul élément manque pour compromettre la mise en route d’un équipement. Ça c’est pour la disponibilité. Nous ne voyons pas forcément d’amélioration ces derniers temps et nous n’en entrevoyons pas dans un futur proche », explique Luc de Bisschop, gérant. Même tendance disparate pour ce qui est de l’évolution tarifaire des fournitures. « Donner une moyenne pondérée n’a aucun sens, mais selon les produits, ça peut être une inflation à deux chiffres », ajoute le gérant. L’entreprise est aussi particulièrement touchée sur ses prestations d’installation avec la hausse du prix des carburants qu’elle ne répercute pas complètement sur ses prix. Un choix assumé par l’entreprise. « Absolument, cela s’est vu sur la marge mais nous avons considéré qu’il nous fallait soutenir notre clientèle et que nous pouvions jouer sur les prix. Nous sommes sur des marchés cycliques. Ce n’est pas la première crise que le monde de la fourniture agricole connaît. Il se trouve que j’en ai vues plusieurs donc ça permet de garder son calme, positive Luc de Bisschop. Ce qui caractérise cette crise-là, c’est l’augmentation de coût conjointe à une augmentation des taux d’intérêt. » Prudence et sérénité pour l’année prochaine, mais comme ses confrères, Luc de Bisschop espère que l’évolution des taux d’intérêt iront dans le sens de consommation.
Agro connect est plutôt épargné
« Nous ne sommes pas spécialement touchés par les pénuries. On fait dans le stockage de céréales en tubes plastiques. Nous avons effectivement subi une grosse hausse des prix du plastique en juin-juillet (environ 20 %), mais nous avions réservé nos plastiques l’année d’avant donc nous n’avons pas répercuté cette hausse sur nos prix », précise Pascal Schulz, gérant d’Agro connect. L’entreprise affiche malgré tout une légère hausse de ses coûts de 5 % en moyenne, essentiellement due à la hausse des prix du carburant. Quant aux prix du plastique, ils ont légèrement baissé sur la fin d’année, et même si cela ne permet pas de compenser la hausse moyenne sur l’année, Agro connect en a profité pour refaire une partie de ses stocks pour l’année prochaine. Et Pascal Schulz de conclure : « On a racheté un peu, mais on ne s’est pas couverts à 100 %, on a de quoi tenir deux mois environ donc on n’est pas en panne. On nous a simplement évoqué que nos fournisseurs comme RKW (Allemagne) risquaient d’être touchées par les achats d’énergie, c’est pour ça qu’on a un peu de stock, mais on n’en sait pas bien plus. »
Le stockage se fait dans des silos tubulaires de 100 m de long et de 2,50 m à 3 m de diamètre. Photo/Agro connect
Agrinove : « La tendance c’est d’aller vers de plus en plus de stock »
Comme ses concurrents, le concessionnaire Case IH, présent à Curtafond et Saint-André-de-Corcy dans l’Ain, est lui aussi confronté à une hausse des délais d’approvisionnement. « On reçoit des tracteurs qu’on a commandés il y a un an, avec des délais de livraison aujourd’hui entre six mois et un an, observe Jérémy Morel, responsable des ventes. On travaille sur le stock donc on arrive à fournir nos clients, que ce soit en matériel de fenaison ou de travail du sol. De toute façon, la tendance va être de faire de plus en plus de stock. » Mais cette politique d’augmentation des stocks a un coût et se traduit par des négociations plus difficiles avec l’inflation. Une envolée des prix que l’entreprise a répercuté à hauteur de 15 à 30 % en moyenne sur les tracteurs et matériels. Agrinove solde néanmoins l’année 2022 avec un très beau résultat et préfère rester confiante pour l’année à venir. « Nous restons sur une bonne dynamique de ventes donc on se pose des questions pour 2023 mais nous ne sommes pas effrayés par l’avenir », poursuit Jérémy Morel. Côté pièces détachées, la demande augmente, de même que sur le marché de l’occasion qui subit lui aussi des pénuries. Le fournisseur se dit toutefois moins concerné sur ce plan là pour les pièces détachées, peu importe la marque du fabriquant (Case IH, Pöttinger, Joskin, Maschio, Gaspardo, Jeulin, etc.).
Chez Bessonnard, une nouvelle écotaxe pèse en plus dans la balance
Comme pour le matériel de stockage, la construction de bâtiments agricoles reste peu touchée par les pénuries mais subit de plein fouet la hausse des prix : + 25 à 30 % environ sur le béton, + 25 % en moyenne sur l’année pour l’acier. En particulier du béton, avec des garanties de prix de deux ou trois mois maximum, contre douze à dix-huit mois auparavant. « Le problème, c’est que les clients aimeraient avoir des prix fixes. Les gens ont du mal à se projeter et les banques sont aussi très frileuses. Les taux ont augmenté », explique Guillaume Drogue à la tête de l’entreprise basée à Saint-Julien-sur-Reyssouze. Étant donnée la situation, Bessonnard a également augmenté ses prix, environ 5 ou 6 €/m3. L’année 2022 a été bonne mais se solde par une baisse de la marge. « Pour 2023 je suis relativement inquiet, souligne Guillaume Drogue. Les hausses sont plus importantes et pour des subventions qui ont été accordées il y a six mois, elles ne seront plus suffisantes pour financer des projets… » D’autant plus qu’une nouvelle taxe, la Responsabilité élargie des producteurs (REP) vient s’ajouter à l’équation. « C’est une écotaxe qui sera obligatoire à partir de janvier et qui concerne tous les matériaux de construction et c’est encore complètement flou, on ne connaît même pas les montants. »
Matériel agricole Gauthier très pessimiste pour l’année à venir
Une bonne année, mais une année fatigante. Voilà comment résumer en quelques mots l’exercice 2022. Chez Matériel agricole Gauthier on table aussi sur les stocks pour continuer d’abonder les clients, mais cela demande de l’énergie. « Une grosse partie de la trésorerie de l’entreprise est engloutie par les stocks et c’est des commandes au quotidien donc c’est fatigant, résume Jean-Christophe Vanier, à la tête de la concession dont le site aindinois se trouve à Saint-Trivier-de-Courtes. Il ne faudrait pas que cette situation dure trop longtemps parce que les clients avaient l’habitude d’avoir du matériel rapidement. » Aujourd’hui, pour un tracteur indisponible en magasin, il faut compter dix mois en moyenne pour la livraison. À cela s’est ajoutée une hausse des charges avec l’explosion des prix du gasoil que l’entreprise a parfois mis du temps à répercuter. Conclusion, un chiffre d’affaires de + 17 % mais une marge stable par rapport à l’exercice n-1. « Nous avons bien vendu cette année mais je suis très très pessimiste pour 2023 parce que de toute façon je n’aurai pas le matériel dont j’aurai besoin pour réaliser le même chiffre d’affaires que cette année. Je clôture mon exercice au 31 octobre mais mes commandes d’aujourd’hui ne seront livrées que fin septembre … donc on va vers une année difficile. Moi qui suis plutôt optimiste, je vais être prudent. J’avais deux bâtiments à faire construire, je vais attendre. J’ai la charge de bientôt 180 familles donc je ne suis pas très joueur », admet Jean-Christophe Vanier. Pour le concessionnaire de la marque New Holland, la bonne gestion dépend aussi de celle des fabriquants fournisseurs. Quant à la conjoncture, elle est pour lui le fruit d’un redémarrage poussif et différent à la suite de la Covid, davantage que celui de la guerre en Ukraine. « Il y a un arrêt Covid avec un redémarrage qui a changé beaucoup de choses. Les Chinois ont travaillé au ralenti et notre dépendance à l’Asie est monstrueuse ! ».
La marque New Holland est particulièrement impactée par les pénuries, mais le concessionnaire compense par une politique de stock plus appuyée. Photo/Matériel agricole Gauthier