INTERVIEW
Alpages : trois questions à Alain Carrichon

Propos recueillis par Margaux Legras-Maillet
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Présence accrue de touristes, prédation du loup, raréfaction de l’eau, baisse de revenu … Alain Carrichon détaille les enjeux auxquels font face les alpagistes de la Haute Chaîne du Jura, ui ont la particularité d’exercer sur une Réserve naturelle. 

Alpages : trois questions à Alain Carrichon
Photo d'illustration/images01

Quelle est la particularité de la pratique d’alpage dans la Haute chaîne du Jura ?
Alain Carrichon : « C’est une très grande zone d’alpage. La particularité de la Haute chaîne, c’est que c’est une Réserve naturelle. C’est une contrainte importante pour les éleveurs qui doivent faire des demandes de travaux lorsqu’ils veulent intégrer des aménagements : que ce soit pour créer une piste, un goya ou une réserve d’eau, etc. Cela passe par des instances multiples, ce qui est très lourd. On nous demande souvent des études « quatre saisons » qui coûtent cher et prennent du temps. Une demande met souvent deux ou trois ans à aboutir, c’est inadmissible ! Cela fait trente ans que je suis contre, la Réserve ne favorise pas l’élevage. »
 
Quels sont les enjeux auxquels doivent faire face les alpagistes de la Haute Chaîne du Jura ?
A.C. : « On rencontre un problème avec l’afflux des touristes comme se situe en quelque sorte en banlieue de Genève. Ce ne sont pas des randonneurs mais des touristes qui sont bien moins respectueux. Pour les touristes, la nature est à tout le monde, ils n’ont pas les connaissances du respect de la nature et de l’élevage. 
La Réserve naturelle est un autre enjeu. Le préfet qui est à sa tête et qui siège au comité consultatif a commandé une étude sur la présence et les besoins en eau. Il souhaite répertorier tous les points d’eau du Pays de Gex, le nombre de bêtes qui y pâturent et qui ont des besoins en eau, ainsi que les potentielles réserves d’eau qu’on pourrait avoir, sachant que pour 98 % des pâturages il n’y a pas d’adduction d’eau potable. Nous nous fonctionnons depuis des décennies avec des goyas qui ont des géo-membranes qui garantissent leur étanchéité, mais on sent une réticence de certains environnementaux. Ils préféreraient qu’on utilise des goyas en argile, le problème c’est qu’en cas de sécheresse l’argile sèche et se fissure, et n’est donc plus étanche. Pour moi, la conclusion de cette étude, c’est que pour l’instant, les géo-membranes sont ce qu’il y a de plus efficace sur les plans économiques et environnementaux. Nous avons une étude qui va durer deux ou trois ans pour arriver au même résultat … 
Nous avons aussi l’arrivée du loup. Cela fait déjà plusieurs années qu’on a une meute installée sur la frontière suisse au Machairuz. Sur les communes de Divonne-les-Bains, Gex et Vesancy, les lieutenants de louvèterie ont retrouvé 19 cadavres de chevreuils et cerfs liés à des attaques de loup. Qu’ils s’attaquent à la faune c’est une chose mais nous allons monter nos bêtes en alpage au premier juin et on est sûr qu’il y aura des attaques sur nos troupeaux. Là où nous sommes le plus en colère, c’est que si on ne prouve pas que c’est du loup, nous ne sommes pas indemnisés, et quand un troupeau est affolé et qu’il faut le rattraper et lui réapprendre la docilité, c’est aussi pour notre compte… Nous subissons sans être indemnisé à la hauteur du préjudice et nous n’acceptons pas de laisse nos bêtes pour qu’elles se fassent dévorer. Des dispositifs de protection existent pour les ovins mais pas pour les bovins. Nous avons essayé de nous protéger par nous-mêmes, en testant par exemple des lumières LED qui se déclenchent, mais cela ne fonctionne pas à 100 % et n’est pas adaptable en pâturage. Résultat, à l’assemblée, certains nous ont même dit qu’à force, ils préféreront faire de l’intensif sur leur exploitation en plaine plutôt que de l’extensif en alpage. Venez ensuite parler de bien-être animal ! 
Du reste, l’enjeu principal auquel font face les alpagistes, c’est le revenu. Nous sommes sur des prix d’il y a trente ans. Mon père vivait avec 30 vaches, mon grand-père avec 12 vaches et nous nous en avons 80. Nous arrivons au bout du système. Nous sommes déconnectés du monde réel et du reste de la société qui a ses cinq semaines de congés et ses week-ends, alors les jeunes ne veulent plus s’installer. Lorsqu’ils le veulent bien, les jeunes ne veulent pas monter en alpages, nous y allons, nous, les anciens, mais les jeunes préfèrent travailler les cultures en plaine, ils n’ont pas la montagne dans le sang … »
 
Quel rôle joue l’association face à ces difficultés ? 
A.C. : « L’association a été créée pour contrer la réserve et le président de l’association siège à son comité consultatif, même si une voix ne pèse pas beaucoup. Nous nous heurtons aux écologistes idéologistes. Le fait d’être une association nous unit, nous sommes solidaires et pas isolés, c’est un bon point. »