CONGRES FDSEA
La profession agricole veut son changement de logiciel

Près de 120 congressistes se sont réunis vendredi 8 mars à la salle des fêtes de Mézériat pour le congrès de la FDSEA. Tout comme l’assemblée générale des Jeunes agriculteurs de l’Ain le 9 février dernier, ce rendez-vous est venu réaffirmer le poids du réseau syndical un mois et demi après le début des mouvements agricoles dans le département. 

La profession agricole veut son changement de logiciel
Photo/MB

Du mouvement « on marche sur la tête » aux blocages d’autoroutes et de centrales d’achats, en passant par plusieurs contrôles d’étiquetages en GMS et le Salon de l’Agriculture, l’actualité agricole de ces derniers mois a été faste. Que de mieux qu’un congrès pour jeter collectivement un coup d’œil derrière l’épaule et inscrire dans le marbre cette pléthore d’activités et avancées syndicales ? Des victoires syndicales dont Jonathan Janichon, qui vivait son premier congrès à la tête du syndicat, s’est fait le porte-parole. « Nous avons obtenu jusque-là obtenu plusieurs victoires dont nous pouvons nous féliciter, comme l’abandon de la hausse de la taxe sur le GNR, des enveloppes supplémentaires pour la viticulture et l’agriculture biologique, la reconnaissance de l’agriculture comme métier en tension, la suppression du CSP… », pour n’en citer que quelques-unes. 

Vers une troisième mi-temps syndicale ?

Jonathan Janichon veut bétonner les premiers jalons obtenus par des agriculteurs écoutés, mais surtout « entendus » : « ces mouvements ont démontré à tout le pays l’urgence de changer de cap ». Le président de la FDSEA change de cap mais ne perd pas le Nord. Certes la main forcée, l’État a consenti à accéder à plusieurs revendications syndicales agricoles au mois de février, mais pour Jonathan Janichon, « le compte n’y est pas ». Lors du traditionnel tour des cantons, David Lafont a enfoncé le clou, un tant soit peu sarcastique : « L’administration sait contrôler. Nous pouvons le concevoir lorsque nous percevons des aides publiques. Un jour quelqu’un m’a dit que les agriculteurs étaient des fonctionnaires. C’est vrai ! Sauf que nous, nous sommes aux 35 heures de sommeil. On peut comparer cette période syndicale chaude à un match de rugby. Nous avons marqué des pénalités pour les services de l’Etat, nous avons marqué plusieurs essais avec une équipe déterminée. Maintenant à vous chère préfète, chers élus, d’être attentifs à ce que vous faites voter, parce que vous risquez d’avoir quelques cartons rouges. A vous de transformer l’essai, ou gare à la troisième mi-temps. Elle est d’ordinaire conviviale mais pourrait bien être syndicale. » Le président du canton de Bourg-en-Bresse est revenu sur les contrôles d’étiquetages réalisés par le réseau syndical majoritaire en GMS au cours des derniers mois. Ces opérations de stickage ont mis en évidence des utilisations abusives, voire frauduleuses, de l’origine France des produits, à laquelle vient s’ajouter une concurrence, souvent jugée déloyale par la profession, causée par la surtransposition des normes européennes en France. « Le président de la République s’est vanté de faire bouger les lignes au niveau européen, mais ce qu’il maîtrise déjà, c’est ce qu’il se passe en France et quand je vois sur nos étalages les parts de marché que j’ai perdues parce qu’on m’a mis deux boulets aux pieds, c’est aussi du ressort de nos parlementaires, pas uniquement celui des hauts-fonctionnaires. Il faut remettre l’église au milieu du village, c’est qui commande ?!, a tonitrué Gilles Brenon, vice-président du syndicat. Je pense que nous devons être virulents sur la surtransposition. Mon matériel est toujours attelé, et on repart après-demain ! »

Les parlementaires appelés à jouer leur rôle « jusqu’au bout »

Christophe Chambon a aussi appelé les parlementaires présents dans la salle à aller « au bout de leur rôle », brandissant l’exemple symbolique de Lactalis : « Vous faites des lois, maintenant il faut les mettre en application. Si vous voulez aller au bout, aidez-nous sur vos territoires à faire appliquer ces contrôles (dans la grande distribution) ». Invité d’honneur du congrès, le président de la FRSEA Bourgogne-Franche-Comté et secrétaire-général adjoint de la FNSEA, a dressé le bilan des mouvements agricoles et souligné l’engouement et le soutien de la population à la profession : « Les plus anciens le disent, on n’a jamais connu ça, avec des actions qui tiennent autant dans le temps, c’est historique ! »

Au total, plus de 120 mesures ont été prises par le réseau syndical FNSEA – JA à l’issue des mobilisations. « Une soixantaine ont été entendues, mais toutes ne sont pas résolues, a résumé Christophe Chambon avant d’insister : « Il y a forcément plusieurs grands chapeaux comme la loi EGAlim, mais il y a aussi plusieurs demandes territoriales qu’il faut prendre en compte. »

Des revendications nationales… et territoriales 

Dans l’Ain, plusieurs revendications sont précisément sur la table. En haut de l’index, le paiement des aides Pac dont la promesse de la préfète de l’Ain qu’elles seraient toutes payées au 15 mars au plus tard n’englobe en réalité pas toutes les aides. Autre point d’achoppement, la cartographie des cours d’eau qui établit les règles à suivre en matière notamment de curage des fossés selon leur classification. Dans un département toujours soumis à arrêté sécheresse, la mise en place de solutions collectives de stockage de l’eau est également une attente forte de la profession. A ce sujet, un travail est en cours avec la préfecture de l’Ain et la Chambre d’agriculture pour recenser l’ensemble des besoins sur le territoire. 

Plus localement, les présidents de cantons ont mis en évidence différentes problématiques, parfois très localisées, des agriculteurs sur leurs territoires. Dans le Haut-Bugey, c’est l’achats de terrains agricoles par plusieurs mairies qui inquiète notamment son président de canton Jean-Claude Laurent : « Sur le foncier, des actions de certaines mairies nous préoccupent beaucoup. Nous ne sommes pas contre le portage du foncier, même par certaines mairies, mais là, ce sont des achats de terrains sans concertation, parfois sans passer par la Safer. Nous demandons aux collectivités, lorsqu’elles sont propriétaires, d’appliquer des baux en bonne et due forme. » Dans le Pays de Gex, c’est sans surprise le loup que Patrick Sallet a pointé du doigt, mais aussi les dégats de gibier : « Madame la préfète, comme vous le savez, les Suisses font une campagne de régularisation. Ils se rendent compte qu’il faut agir et vite, ce qui va engendrer des mouvements de meutes dans nos alpages. Nous n’avons aucun moyen de protéger nos troupeaux dans la zone protégée ! » De son côté, Gilles Brenon, a remis une couche contre le projet de Grand Bourg agglomération pour protéger son aire de captages d’eau potable entre Lent et Péronnas. Un dossier contre lequel plusieurs agriculteurs de la zone se sont dits vent debout, appelant la collectivité à acheter 100 % de la production qu’elle souhaitait imposer sur le secteur. Gilles Brenon a aussi appelé à rencontrer son président Jean-François Debat, brandissant la menace d’un arrêt des épandages de boues de stations d’épuration en cas de refus. Des demandes semblerait-il restées sans réponse de la part de Grand Bourg Agglomération. Et de scandaliser l’éleveur de Saint-Martin-du-Mont face à un mauvais timing de la part de l’agglomération : « Je suis chaud ! A chaque jour suffit sa peine. Cela fait des semaines que nous sommes sur des charbons ardents. Nous avons été soutenus et tout le monde nous a fait la bise au Salon de l’Agriculture. Puis nous avons pris un grand coup de poignard dans le dos en devenant les « plus grands pollueurs ». Nous étions déjà montés au créneau, nous travaillons bien avec Aimé Nicolier. Acheter du foncier c’est bien, mais si vous voulez choisir la production qu’il y a dessus, il faut vous engager à acheter 100 % de la production et là ce n’est pas possible. C’est un vrai coup de gueule parce que là j’en ai ras le bol. Ce sont des gens qui n’y connaissent rien. »

Santé financière du syndicat : « il va falloir inverser la vapeur »

Le syndicat doit toutefois composer avec un bilan comptable en berne et un déficit de 6 000 € en 2023 qui camoufle en réalité une difficulté financière plus crispante que seule une aide conjoncturelle a permis de pallier cette année. « Il faut faire très attention sur l’exercice 2024 pour assurer la trésorerie et on a aussi malheureusement un déficit structurel avec un bilan négatif que l’on arrive à pallier par des mesures exceptionnelles mais il faut retrouver un équilibre dépenses/recettes », a alerté le commissaire aux comptes dans son rapport. 

« Il va falloir inverser la vapeur pour la FDSEA et l’ensemble du groupe », admet Gaëtan Richard, trésorier du syndicat. Et Jonathan Janichon de préciser : « la situation est clairement difficile, il ne faut pas s’en cacher. On a beaucoup parlé du magasin, on a abandonné ce projet, donc si on ne trouve pas de solution de location cette année, on s’en séparera pour réduire nos charges. »  Un bilan comptable local en berne qui contraste avec une activité syndicale débordante, couronnée de victoires départementales en 2023 : obtention du déterrage des renards, organisation de la collecte de pneus, mise en place d’un Groupement foncier agricole mutuel, instauration d’une charte des bonnes pratiques en matière de circulation des engins agricoles, etc. Jonathan Janichon a conclu son rapport moral en  rappelant que « 2024 sera une année décisive », également marquée par une « conduite de changement » et par les élections des Chambre d’agriculture à horizon 2025. 

CONTRÔLES OFB/ Le « contrat de confiance » désarmé par le port de l’arme ?

Sujet tangible sur le devant de scène depuis le début des mobilisations, le port de l’arme des agents de l’OFB en a supplanté l’amélioration du revenu sur l’échelle des revendications. « J’en ai même été surpris », concède Jonathan Janichon. Le réseau syndical majoritaire a obtenu le placement de l’OFB sous la tutelle des préfets de département. Une première victoire mais « insuffisante ». Lors de la deuxième rencontre dans le cadre de « l’agenda agricole », Chantal Mauchet avait même convié les représentants de l’OFB à échanger avec les élus syndicaux. Les syndicats majoritaires demandent l’interdiction du port de l’arme pour des missions de contrôles administratifs simples, non soumis à la juridiction du procureur de la République. « On va avoir du mal à lâcher sur cette demande qui est primordiale pour le moral des agriculteurs, insiste Christophe Chambon. On ne demande pas la suppression de l’OFB, mais nous sommes des chefs d’entreprises et nous demandons, pour des contrôles administratifs, à être à armes égales. ». Fermes sur leurs positions, FNSEA et JA restent vent debout contre le port de l’arme. A tel point que son interdiction est devenue la clef de voûte du contrat de confiance attendu par la profession avec l’État. En témoigne Michel Joux : « Si vous voulez que le contrat de confiance se mette en place, les agents, quels qu’ils soient, doivent nous faire confiance quand ils viennent chez nous, sans nous prendre en préambule pour des délinquants parce qu’on a coupé un arbre ou curé un fossé. » 

M.B. 

EGALIM/ « Un prix plancher peut être un prix plafond »

En filigrane sous la plupart des interventions du congrès FDSEA, la loi EGAlim cristallise les tensions entre l’État et la profession agricole. En témoigne Sandie Marthoud, céréalière à Sainte-Julie : « L’année dernière, le maïs nous a coûté 200 € la tonne et notre gentille coopérative ne nous en a donné que 160 € /tonne donc il nous manque 40 € /tonne. Avec la loi EGAlim je ne sais toujours pas à qui je dois donner cette facture donc je la donne à Madame la préfète. » Excédée, l’agricultrice désespère de voir un jour son jeune fils s’installer : « Il faut que je donne à manger à ma famille. On perd trop de gens, certains s’en rendent malade, ça m’est arrivé. On est en train de crever. La peur doit changer de camp. » 

Les « prix planchers » annoncés par Emmanuel Macron lors du Salon de l’Agriculture ou le « je vous ai compris » d’un chef de l’État près à tout pour calmer le jeu ont pris de court la profession agricole. « On se pose beaucoup de questions. C’est quoi ces prix planchers ? Est-ce que c’est une idée politique pour tourner à droite ou à gauche ou est-ce que le but, c’est de mettre la loi EGAlim sous le tapis ? », s’inquiète Jonathan Janichon. Le président de la FDSEA ne se dit pas fermé si ces prix planchers incluent les revendications syndicales du réseau majoritaire. A savoir : la prise en compte des coûts de production traduits par les interprofessions de chaque filière selon la conjoncture dans les contrats et l’application du principe de construction en avant du prix, c’est-à-dire en deux temps pour sanctuariser le prix des denrées alimentaires. Christophe Chambon se veut tout aussi prudent : « un prix plancher peut être un prix plafond selon moi. » Face à un gouvernement qui semble gagner du temps, la profession se retrouve toujours dans l’attente. 

« EGAlim, c’est un point fondamental, et à ne pas m’y tromper, c’est celui sur lequel nous avons obtenu le moins de choses. Cette loi EGAlim date de 2018. On est six ans après et on a rien », dénonce Laurent Soileux. Éleveur de volailles et président du Groupement avicole de la Dombes (GAD), il alerte toutefois sur le risque de placer la définition des coûts de production sous la tutelle des interprofessions : « Il faut faire très attention, 90 % de la filière volaille française est intégrée par le maillon agroalimentaire, c’est-à-dire par les industriels. Dans la volaille, les vice-présidents des interprofessions sont les patrons des grandes entreprises », citant Anvol et le groupe LDC. Pour l’éleveur, les parlementaires ont autant leur rôle à jouer que le syndicalisme. 

Jean-Pierre Léthenet, éleveur de bovins et co-président de l’association Viande des Pays de l’Ain, fustige de son côté la confusion entre le coût de production et la montée en gamme de certains produits. « Sous prétexte qu’elles vendent des produits labellisés, certaines personnes pensent que par conséquent elles pratiquent forcément un prix rémunérateur. C’est complètement faux. Aujourd’hui, quand on passe par du Agrilocal pour s’approvisionner, on n’est pas sur du prix rémunérateur. Le seul qui le fasse, c’est Viande des Pays de l’Ain. » L’éleveur s’interroge sur la possible généralisation du fonctionnement de VPA à plus grande échelle. Une question posée par son co-président Hugo Danancher au ministre de l’Agriculture lors du Salon de l’Agriculture et restée sans réponse. 

M.B.