SYNDICAT
Colère des agriculteurs : JA déterminé à ne rien lâcher

Margaux Balfin
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Les Jeunes agriculteurs de l’Ain ont tenu leur assemblée générale vendredi 9 février au technopôle d’Alimentec à Bourg-en-Bresse. Entre colère et usure, le réseau syndical a martelé sa détermination à se mobiliser pour faire reconnaître la profession. 
 

 Colère des agriculteurs : JA déterminé à ne rien lâcher
L'assemblée générale des Jeunes agriculteurs de l'Ain s'est tenue à Alimentec le 9 janvier dernier. Photo/MB

Premier grand rendez-vous syndical depuis la levée des mobilisations, l’assemblée générale a réuni 160 personnes dont plusieurs parlementaires et élus locaux vendredi dernier.  « Nos réseaux ont prouvé que nous avions encore une force. Ses quinze derniers jours, ce sont 100 % de nos cantons qui se sont mobilisés », a rappelé fièrement Justin Chatard. D’une même voix, Jonathan Janichon, président de la FDSEA, et Jocelyn Dubost, président des JA Aura, ont félicité le calme des blocages qui se sont déroulés sans heurts, malgré le grand nombre d’agriculteurs présents. 
Certes l’année 2023 a été marquée par de nombreux points forts pour le syndicat : la fresque installée lors du Tour de France, la Fête de l’agriculture ou encore la nouvelle programmation DJA, qui si elle n’a pas encouragé l’installation cette année (une vingtaine seulement contre 50 d’ordinaire), a tout de même vu son enveloppe moyenne régionale se maintenir. Des instants forts en émotion qui pourraient se répéter en 2024 avec les 70 ans de la Fête de l’agriculture les 25 et 26 août prochains sur le canton de Coligny et le retour du Guide de l’installation ; et qui sait pourquoi pas aussi en 2025 si le syndicat obtient l’organisation du congrès national des JA. La grogne des agriculteurs n’en demeure pas moins une réalité quotidienne. 
 
Des cantons échaudés 
 
Une colère dont beaucoup sont encore rongés, dixit les présidents de canton qui se sont exprimés durant l’assemblée. Dégâts de gibiers, lourdeur administrative, inflation, manque de rémunération, aléas climatiques, prédation du loup… quand ce n’est pas tout à la fois. « J’ai le sang chaud ! », lâche exaspéré Cyrill Janaudy. Éleveur à Cormoz, il se dit aujourd’hui étouffé, pris en étau entre des charges à la hausse et un prix du lait à la baisse : « J’ai beau être costaud, je vais plier. On marche sur la tête depuis longtemps et on ferme les yeux. Ce n’est pas grave, c’est le paysan qui paiera. » Ce n’est pas le grand-père de Manon Durand qui dirait le contraire. « Il me disait souvent, mon premier tracteur je l’ai acheté 7 200 € pour 20 ha de blé à 72 €/t. Aujourd’hui pour le même tracteur, moi je dois dépenser 80 000 € (pour un prix du blé que l’on connaît, NDLR), se souvient-elle. Il me disait souvent qu’il fallait un kilo de blé pour payer un litre de gazole, il en faut aujourd’hui 6,5 kg. Il y a trente ans, mon père vendait 150 kilos de carcasse de charolaise au même prix qu’aujourd’hui, à l’exception d’un euro en plus aujourd’hui, mais ce n’est pas suffisant … » Éleveuse et engraisseuse, la jeune agricultrice a fustigé les sociétés d’abattage qui « reprennent les petites fermes pour avoir la mainmise sur les prix ».
Quant à Hugo Amele, président de canton du Haut-Bugey, il s’est indigné du manque de soutien de certains élus locaux : « dès le lendemain de notre mouvement « on marche sur la tête, le premier vice-président de l’agglomération de Nantua a retourné le panneau de sa commune, parce qu’Oyonnax rime avec industrie et rugby mais pas agriculture. À Arbent, la mairie a acheté du terrain agricole pour plus de 50 000 €/ha, il s’agit pourtant d’une petite commune. Quelle logique y a-t-il à venir concurrencer leurs agriculteurs ? »
 
« Le temps de la négociation est venu »
 
Éreintés mais déterminés, les représentants de canton ont appelé à poursuivre leurs efforts. L’une des plus jeunes présidentes de canton, Eva Poloni, y croit dur comme fer : « ensemble nous pouvons transformer les défis en victoire ». Sans pouvoir toutes les nommer, Justin Chatard a cité quelques revendications : la baisse de la lourdeur administrative pour les demandes de DJA, la mise en place de prêts bonifiés pour les jeunes agriculteurs, la prise en compte des coûts de production dans la loi EGAlim, le renforcement des étiquetages… autant d’attentes qu’il ne faudrait de pages dans ce journal pour toutes les détailler. Des revendications auxquelles s’est associé Jonathan Janichon dans son allocution. 
Le gouvernement a d’ores-et-déjà accédé à plusieurs demandes, mais « le travail n’est pas fini, garantit Joffrey Beaudot, élu aux JA de France. Nous ne sommes pas totalement satisfaits des réponses qu’a apportées le gouvernement aux 120 revendications de notre réseau national, mais le temps est venu de la négociation. » 
De son côté, Michel Joux attend qu’un véritable « pacte de confiance » soit signé avec l’État, les industriels, les GMS et la restauration. « À ce sujet, je ne suis pas sûr que le logiciel soit en cours de changement. Je suis très inquiet. » Et de citer avec verve Jacques Chirac : « Un pays ne pourrait pas être un grand pays sans nos agriculteurs ». 
Après les mobilisations de ces quinze derniers jours, la préfète de l’Ain Chantal Mauchet ne pouvait faire l’économie de sa présence. Elle a d’ailleurs longuement assisté aux échanges et interventions de la profession agricole, avant de clore l’assemblée générale. C’est dans ses petits souliers que la haut-magistrate a elle aussi admis « l’exemplarité » des mobilisations dans « un esprit de responsabilité ». « Ce n’était pas ni une manifestation de plus, ni un mouvement comme les autres, mais un appel à établir un « contrat de confiance » avec la nation. Cet appel, le gouvernement l’a entendu », a-t-elle assuré faisant écho aux propos de Michel Joux. Une première rencontre avec la profession a d’ailleurs eu lieu dès le mardi soir (voir encadré) durant laquelle un « grand chantier de simplification départemental » a été entamé. 
 
Installation : la préfète annonce des mesures d’incitation fiscale
                                                                 
En plus de rappeler quelques annonces « exceptionnelles » du gouvernement – abandon de la réforme du GNR, plan de 150 M€ pour l’élevage, dérogation aux règles de conditionnalité sur les jachères, mise en œuvre ferme de la loi EGAlim – la préfète de l’Ain a également énoncé quelques mesures fiscales incitatives en matière d’installation. D’une part, le rehaussement de plusieurs seuils d’exonération en cas de transmission. À titre d’exemple, le plafond passera de 500 000 à 700 000 € pour une exonération totale de plus-value sur les transmissions d’entreprise et d’un million à 1,2 M€ pour une exonération partielle. D’autre part, le dégrèvement automatique de la TFNB pour les Jeunes agriculteurs et un calcul de charges sociales pour les nouveaux installés revu et simplifié. En pleine période d’inflation, l’accès au crédit sera aussi facilité grâce à des prêts garantis par l’État pour les nouveaux installés. 
Les attentes de la profession sont fortes. Chantal Mauchet en a bien saisi la teneur et s’est appliquée à le faire savoir : « je sais que vous serez surtout très attentifs à leur mise en œuvre effective et rapide sur le terrain ». Si son discours a été globalement bien accueilli par l’assemblée, la préfète de l’Ain se sait une épée de Damoclès sur la tête, et sans application urgente des engagements pris par l’État, d’autres mobilisations pourraient avoir lieu.