PRÉDATION
Six attaques de loup en moins d'une semaine. « On est vraiment sur une sorte de harcèlement du loup », admet la sous-préfète

Margaux Balfin
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« La saison commence fort », lâche Lionel Manos, président de la cellule loup. À peine sortis, plusieurs animaux ont été victimes d'attaques de loup dans le département. En moins d'une semaine, pas moins de six attaques ont eu lieu sur plusieurs lots de deux exploitations, à L'Abergement-de-Varey, Jujurieux et Hotonnes. Alors que 42 victimes ont été recensées en 23 attaques l'année dernière, au moins 33 ont été tuées ou blessées en seulement quelques jours.

Six attaques de loup en moins d'une semaine. « On est vraiment sur une sorte de harcèlement du loup », admet la sous-préfète
En cinq attaques, le Gaec Bergerie de la Cordière à L'Abergement-de-Varey a perdu au moins 25 animaux. La responsabilité du loup n'est pas exclue, précise la préfecture de l'Ain. Photo/DR

Avec 25 ovins tués et trois blessés en cinq attaques, le Gaec Bergerie de la Cordière est le plus touché. La sous-préfète de Nantua, Danielle Balu, s'est rendue sur place mercredi 10 avril, accompagnée des services de la DDT et de l'OFB, pour soutenir les éleveurs « ébranlés », a constaté la représentante de l'État en charge du dossier prédation dans le département.

Danielle Balu s'est également heurtée à la frustration d'Emmanuel Blanc, président du syndicat des éleveurs de moutons de l'Ain : « La protection des troupeaux face à la prédation est effective puisqu'il y avait des chiens de protection, mais malgré les chiens dans les lots, les loups attaquent. Cela prouve l'inefficacité de ces mesures », se désole-t-il. Ce n'est pas la première fois que l'insuffisance des moyens de protection face à la prédation du loup sont pointés du doigt par le syndicat.

Non-protégeabilité des exploitations : la préfecture prête à travailler sur le sujet

Emmanuel Blanc a d'ailleurs interpellée la sous-préfète sur l'impossibilité de faire reconnaître le caracère de « non-protégeabilité » de la chaîne du Haut-Jura. La particularité de l'élevage ovin dans ce secteur, avec des lots de petite taille, souvent émietés au sein des villages, rend en effet difficile, voire « impossible » selon certains éleveurs, la protection par des chiens de troupeaux ou des filets de protection. Si le nouveau Plan national d'actions (PNA loup) 2024 - 2029 ouvre la possibilité aux éleveurs de faire une demande de dérogation pour un enjeu de « non-protégeabilité », elle ne concerne que les parcelles. Danielle Balu s'est toutefois dit prête à mettre en place des groupes de travail avec la DDT pour étudier la possibilité d'élargir cette dérogation aux exploitations si le syndicat des éleveurs de moutons en faisait la demande.  

Des tirs de défense simple accordés 

Si son président a reconnu l'écoute de la représentante de l'État - « c'était la bonne surprise de la journée », n'a-t-il pas caché - Emmanuel Blanc s'est toutefois indigné face à la « trop lente réaction des services de l'État ». En préparation depuis le mardi, l'arrêté autorisant la mise en place de tirs de défense simple (TDS) au Gaec Bergerie de la Cordière est sorti en début de soirée ce mercredi 10 avril. Une sortie un peu tardive qui n'a permis aux louvetiers de se mettre en place qu'à partir du lendemain alors qu'une autre attaque avait lieu dans la nuit. « On a perdu une nuit de tir ... », lâchait Emmanuel Blanc. 

« C'est son opinion. La préfète m'a demandé de réunir les services de l'État dès le mardi puisque deux attaques avaient eu lieu (l'une des conditions à remplir pour obtenir un TDS, NDLR). En parallèle, la DDT a rebouclé avec l'éleveur les lots concernés par une attaque. Nous avons fait de notre mieux pour sortir l'arrêté », a par ailleurs rétorqué Danielle Balu, rappelant que les louvetiers étaient tous des bénévoles. Plusieurs pièges photo ont été disposés par l'Apacefs et les éleveurs à des points stratégiques pour déterminer les zones de passage du loup et mieux positionner les tireurs. Au total, cinq louvetiers ont été mobilisés sur plusieurs lots de l'exploitation, à raison d'un par lot.

Les louvetiers pas encore formés pour être deux tireurs par lot

Un autre point d'achoppement entre Emmanuel Blanc et la sous-préfète de l'Ain. Le président du syndicat des éleveurs de moutons n'a pas caché sa surprise face à l'impossibilité de positionner plusieurs tireurs par lot comme cela est permis par l'arrêté du 21 février 2024 (art. 17)** alors que cela réduit les chances de succès des tirs. S'il sera en effet possible avec le nouveau PNA de positionner jusqu'à dix tireurs par lot, ils doivent en revanche être formés dès lors qu'ils sont plusieurs, pour des raisons de sécurité. Problème, dans l'Ain ce n'est pas encore le cas, admet Danielle Balu : « Pour monter à deux tireurs par lot il faut que les louvetiers aient été formés par la brigade mobile de l’OFB. Il est vrai qu’à ce stade la formation n’a pas encore été délivrée. » Le sous-préfète promet qu'ils le seront dans les prochaines semaines, charge ensuite au président des louvetiers de décider de tous les former ou de monter une sorte de section spécialisée dans le tir du loup. Elle a également promis que les nouveaux équipements, avec lunettes de visée, autorisés dans le cadre du nouveau PNA seraient également livrés prochainement. 

Cinq animaux de plus tués à Hotonnes 

Une attente forte des éleveurs alors qu'une autre attaque a eu lieu dans le département à Hotonnes, chez Claude Ballet. Mercredi matin, aux alentours de 6 h 45, il retrouvait quatre de ces 130 animaux tués dans l'une de ses prairies. Au total, cinq ont été tués dont une grosse brebis et un agneau de dix mois. « Le dernier, je l'ai retrouvé à 15 heures de l'après-midi. Le loup l'avait traîné sur 200 mètres et monté en haut du parc en lisière de forêt. Il faisait plus de trente kilos et pourtant le loup n'a laissé aucune trace dans l'herbe, il ne l'a pas traîné mais porté », explique l'éleveur. 

Tout comme chez la famille Arcan à L'Abergement-de-Varey, de gros taux de prélèvements ont été constatés. « Un agneau était énormément mangé, a constaté Claude Ballet. Le ventre et la peau étaient ouverts, les côtes cassées et défoncées, la poitrine ouverte, la panse sortie mais encore attachée à l'oesophage. Seule la partie arrière était mangée ». Un spectacle macabre. Et Claude Ballet de souffler dépité : « Je suis tranquille pour trois jours maintenant ».

Un chien de troupeau inefficace

Il faut dire que l'éleveur n'en est pas à sa première attaque. Il y a quelques années, il avait déjà perdu une quarantaine de bêtes en plusieurs attaques successives. À l'époque sans moyens de protection, il n'avait été indemnisé que pour une partie d'entre eux. Depuis, il a acheté un chien de protection. « Ce chien m'a coûté 700 €, mais il n'est pas efficace. Je voulais un chien qui soit gentil avec l'Homme pour qu'il ne s'attaque pas aux promeneurs. Résultat, il s'est caché au milieu des brebis ». Proche de la retraite, l'éleveur s'inquiète pour sa fille qui doit reprendre. C'est pourquoi il réfléchit aujourd'hui à installer une centrale de panneaux photovoltaïques pour y installer ses moutons dessous. Et de justifier : « L'intérêt, c'est que cela permet d'avoir un espace fermé qui permette de réactiver une activité en train de péricliter », explique-t-il. 

Au total, au moins 33 ont été tuées ou blessées en seulement quelques jours, alors que 42 victimes ont été recensées en 23 attaques sur toute l'année dernière. 

*Association des Protections Alternatives pour la Cohabitation de l'Élevage et de la Faune Sauvage. **L'arrêté du 21 février 2024 fixe les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup.