APICULTURE
Une année exceptionnelle, avortée par la sécheresse

Margaux Legras-Maillet
-

Éleveurs et producteurs de miel à Lélex, Fred et Pierre Berry terminent la saison avec de beaux volumes à leur actif. Toutefois, avec des miellées très courtes et intenses, les deux apiculteurs décrivent une année stressante. 
 

Une année exceptionnelle, avortée par la sécheresse
Pierre Berry et son père, en Gaec depuis 2020 à Lélex. Photo/MLM

« C’est une bonne année. Pas exceptionnelle, mais elle aurait pu l’être », résume Fred Berry, apiculteur professionnel à Lélex depuis 2017. En effet, les miellées ont démarré fort cette saison, mais toutes ont été stoppées par les canicules. L’acacia notamment a connu une très belle floraison permettant aux abeilles de fabriquer une grande quantité de miel. Au bout de quatre jours seulement, le vent du Sud et les 32 °C affichés au thermomètre ont toutefois fait sécher le nectar. Même scénario pour toutes les autres miellées. D’ordinaire, la floraison du châtaignier dure, par exemple, jusqu’à trois semaines, mais cette année, elle n’aura tenu qu’une semaine tout juste, stoppée du jour au lendemain par la sécheresse.

Pierre et Fred Berry ont eu de la chance. En remontant plus tôt leurs abeilles de l'acacia, ils ont pu rentrer une belle quantité de miel de montagne. Photo/MLM

Fred Berry et son fils Pierre s’en sortent malgré tout bien et ont pu engranger 17,5 tonnes de miel, tous confondus (acacia, châtaignier, printemps, montagne, forêt, sapin), sur l’ensemble de la saison. Quant à leur cheptel, il a globalement bien résisté aux fortes chaleurs. 
 
Une saison stressante 
 
Mais les deux apiculteurs, en Gaec depuis 2020, décrivent une année stressante. En raison des températures élevées, toutes leurs miellées se sont arrêtées au 20 juin. Au total, Pierre Berry comptabilise 32 jours d’entrée de miel, à raison de 800 g/jour. Les miellées ayant chacune commencé très fort, les abeilles ont pu produire jusqu’à 4 kg de miel/jour au moment des pics. Mais les miellées étant aussi très courtes, quelques jours seulement à chaque fois, une erreur de calcul sur une transhumance pouvait s’avérer dramatique économiquement. « Une journée manquée, c’était 1,5 tonne de miel en moyenne en moins, c’est-à-dire entre 15 à 20 000 € de chiffre d’affaires de perdu, en une journée », précise Fred Berry. La saison s’est jouée en quelques jours, il fallait être là au bon moment, au bon endroit. Fred et Pierre Berry ont eu de la chance. S’ils ont moins produit de miel d’acacia que d’autres, ils ont en revanche fait une bonne saison en montagne. « Sur le miel de montagne, on a eu plus de chance que certains collègues. Comme on n’avait plus rien en acacia, on avait peur que les abeilles aient faim, donc on les a déplacées à la montagne et elles sont arrivées pour les premiers jours de miellée, (au moment du pic, NDLR). COn a des collègues qui ont déplacé 70 ruches dans le Jura quelques jours après nous, et ils n’ont rien fait … ». Le père et le fils ont eu moins de veine sur le miel de lavande. Chaque année, ils font le choix de descendre tardivement leurs abeilles en Drôme pour butiner la belle bleue. Une stratégie qui leur permet de faire plus de miel de montagne ; mais la lavande ayant complètement grillé à certains endroits, ils ont pris la décision de ne pas tenter cette quatrième miellée habituelle. À l’avenir, les deux apiculteurs ont également décidé de ne plus renouveler la transhumance de printemps. « Cela fait deux ans que l’on descend la moitié de nos ruches sur du colza en Bresse et on s’est rendu compte que l’on ne faisait pas plus de miel que dans le Pays de Gex ». À une période de l’année où l’activité d’élevage est particulièrement prenante, une transhumance en moins leur permettra de faire des économies de temps et d’argent. 
 
L’activité élevage a plutôt bien fonctionné
 
Également reproducteurs, les deux apiculteurs achètent des reines souches qu’ils font se reproduire avec les mâles de leurs meilleures ruches. Et cette saison, l’activité a plutôt bien fonctionné. Ils attribuent d’ailleurs une baisse du taux de réussite de fécondité à des expérimentations tentées cette année sur les ruches. Et Fred Berry de préciser : « La vallée de Lélex n’est pas une région très propice à la production de miel, mais c’est au contraire un beau secteur pour l’élevage. Comme la vallée est fermée, on a moins de pollution génétique, on peut donc faire de la fécondité dirigée. Avec pas mal de pluie, on a aussi des fleurs plus tardives, jusqu’en septembre, donc on garde les mâles plus longtemps. C’est avantageux par rapport à la concurrence. » Chaque année, lui et son fils vendent quelque 1 200 reines et des essaims. « Il y a une forte demande. On ne sait pas encore si on va développer l’activité élevage, mais ce serait une manière d’utiliser notre position géographique privilégiée. Certains éleveurs n’ont pas pu avoir toutes les reines qu’ils voulaient à cause des fortes chaleurs. »

 

 

Pierre Berry : « c’est un métier qui a du sens »

Fils d’apiculteur, Pierre Berry ne s’est pourtant jamais destiné à marcher dans les pas de son père. D’ailleurs, en 2017, lorsque son père s’installe en professionnel, il ne l’accompagne qu’une ou deux fois seulement en transhumance, quand sa mère n’est pas disponible. Ce n’est qu’un an plus tard, sans emploi après un BTS en aménagement paysagé qui ne le passionnent guère, qu’il décide de tenter le coup pour une saison. Il se rend alors en Moselle, au Rucher des trois frontières, chez un éleveur multiplicateur et l’un des plus gros producteurs de gelée royale de France. Là-bas, il apprend durant deux ans d’affilée les rudiments du métier. Il s’installe en Gaec avec son père le 1er avril 2020, en plein Covid, mais à l’aube d’une année exceptionnelle pour la production de miel. Depuis qu’ils travaillent ensemble, leur cheptel est passé de 350 à 500 ruches pour deux. Ils ont également investi pour que les ruches et ruchettes soient posées sur pieds et non au sol. Aujourd’hui à 26 ans, il ne s’en cache pas, il n’est toujours « pas passionné par l’animal » mais, comme il le dit lui-même, ce qui lui plaît dans ce métier, « c’est tout. Il y a une part de chance, tu travailles où tu veux, et c’est un métier qui a du sens. »