COOPÉRATIVE AGRICOLE JURA MONT-BLANC
Jura Mont-Blanc, activateur de filières locales

BC
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Plus d’une centaine d’adhérents, clients, fournisseurs, invités et partenaires se sont rendus à Vulbens (Haute-Savoie) le 13 décembre pour assister à l’assemblée générale de Jura Mont-Blanc.

Jura Mont-Blanc, activateur de filières locales
Yannick Dumont président de la coopérative Jura Mont-Blanc, Alessandra Kirsch intervenante, les vice-présidents Damien Martel, Jean-Pierre Guillot, Norbert Lebas et Jérôme Beroulle directeur général. PHOTO/DR

Après 15 ans d’assemblées générales à Archamps, la coopérative Jura Mont-Blanc a choisi la salle ECLA de Vulbens pour réunir le 13 décembre ses adhérents, partenaires et invités. Le maire Florent Benoît a d’abord profité du mot d’accueil pour dénoncer la récente décision du tribunal administratif de Grenoble d’annuler le projet voisin d’Ecoparc du Genevois. « Des agriculteurs extérieurs, qui en réalité n’en sont pas, viennent nous expliquer ce qu’on doit faire, alors que tout était acté avec les premiers concernés, c’est une aberration ». Le président Yannick Dumont a ensuite souhaité la bienvenue à la centaine de participants et à Alessandra Kirsch, directrice des études chez Agriculture & Stratégies, venue de Dijon pour une intervention géopolitique prospective et globale (lire ci-dessous).

35 millions d’euros d’activité agricole

Jérôme Beroulle, directeur général, a commencé par présenter le rapport 2021-2022 de l’activité agricole de la coopérative qui rayonne sur les Savoie, le pays de Gex et le bassin de Bellegarde, puis celle des magasins grand public. La campagne a été bousculée par l’été humide 2021, puis par le conflit en Ukraine. Sans visibilité, « on a essayé de livrer au mieux nos adhérents, notre but premier ». Les ventes d’aliments aux éleveurs (18,50 M €) ont fortement progressé en volume et aussi en valeur sous l’effet prix. Le total de l’activité agrofournitures (aliments, engrais, produits de protection de cultures, semences…) s’établit à 27,50 M €.
Avec 39 245 tonnes, le volume de la récolte céréalière 2021 a été d’un bon niveau, en hausse de 15 % par rapport à 2020. Mais la qualité des blés meuniers (dont 500 t certifiées HVE) a été pénalisée par la pluviométrie à la moisson avec de gros volumes déclassés en fourrager ou autre utilisation. L’activité céréales 2021-2022 s’élève à 7,50 M €. Au final, le chiffre d’affaires de la coopérative Jura Mont-Blanc progresse de 17 % et dépasse pour la première fois les 35 M € en 2021-2022.
Concernant la campagne 2022, c’est tout le contraire : seulement 30 422 tonnes collectées, principalement à cause de l’impact de la sécheresse sur les cultures d’été comme le soja et le maïs (-50 %). Les éleveurs ont choisi de le valoriser en vert à l’affouragement pour compenser le déficit de la 2e coupe de foin. Mais les récoltes de blé (15 972 t), orge (3 500 t) et colza (1 540 t) sont correctes avec de bons standards qualité.
Le parc de 20 magasins Gamm Vert-Gamm Vert Village des Savoie et du pays de Gex s’est agrandi en juin avec la reprise d’une jardinerie familiale à Faverges (Haute-Savoie). Le chiffre d’affaires grand public s’est maintenu à 31 M €, une remarquable performance après les deux très fortes progressions enregistrées en 2019 et 2020 et un réseau national qui peine à -5 %. Le montant du panier d’achat des clients reste largement supérieur à la moyenne française de l’enseigne. L’activité de l’EURL vient consolider le groupe Jura Mont-Blanc dont le chiffre d’affaires s’établit à 66 M €. « Le résultat net dégagé nous a permis d’accorder des compléments de prix jamais vus à nos apporteurs de céréales en mai, puis des ristournes de fin de campagne en septembre, pour un montant de 1,10 M € » s’est félicité Yannick Dumont.

Des tourteaux d’origine locale

Acteur structurant de l’agriculture locale, Jura Mont-Blanc veut jouer un rôle encore plus important en activant des filières qui répondent aux besoins et aux valeurs de la coopérative. La production d’huile alimentaire et de tourteaux d’origine régionale est enclenchée. Ce projet à 6 M € baptisé Nutralp est mené en commun avec les coopératives Bresse-Mâconais et Capdis, a expliqué Yannick Dumont. L’unité actuellement en construction démarrera à la fin de l’année 2023. Elle triturera, décortiquera, aplatira et cuira des graines de colza, tournesol et soja collectées sur la région pour améliorer l’autonomie protéinique des élevages d’ici, « du champ à l’auge ». L’objectif est fixé à 10 000 t de tourteaux par an et 4 000 tonnes d’huile. Les coques et sous-produits pourront être valorisés en matériel d’isolation.

Du champ de blé au fournil

Le vice-président Damien Martel a ensuite évoqué l’acquisition par Jura Mont-Blanc d’une entreprise de minoterie dans l’Ain, les moulins de Maillat, et du droit de mouture de 3 500 tonnes pour y fabriquer sa propre farine de blé et la commercialiser dans ses magasins Gamm Vert sous sa marque les Produits Coopains et auprès d’un réseau de 200 boulangers régionaux. « Une filière cohérente, du champ au fournil, pour que les agriculteurs reprennent la main sur la valeur ajoutée » a résumé Damien Martel président la filiale SAS La Belle Époque créée pour gérer cet outil.

Du malt à partir des céréales de proximité

Et enfin, pour offrir de nouvelles perspectives de débouché aux cultures collectées par la coopérative, Jérôme Beroulle a montré en photos l’avancée de la malterie de Viry construite en partenariat avec Malt’inPott. La capacité sera portée à 1 500 t de malt/an, « une vraie filière à développer pour valoriser les orges brassicoles bio de nos adhérents et aussi le blé, le seigle, le sarrasin, l’avoine, en lien avec la forte demande des brasseurs régionaux ».
Ces trois projets « s’inscrivent pleinement dans notre fil rouge : rechercher la meilleure valeur ajoutée pour nos coopérateurs tout en relocalisant l’alimentation sur le territoire. Certes, ce ne sont ni notre pain, ni notre huile qui sauveront la France. Mais c’est une contribution concrète, à notre échelle, à la souveraineté du pays » a conclu Yannick Dumont

« La volatilité inscrite pour durer »

Prospective/Dans un environnement instable, soumis aux aléas climatiques, à une volatilité extrême des prix et des coûts d’intrants, l’agriculteur doit reconstruire ses repères technico-économiques.

Parce que la rareté fait la cherté, les prix des matières premières et des transports ont vite réagi au conflit déclenché en février entre deux grands acteurs mondiaux des céréales, des hydrocarbures et des engrais dont « plus de 30 pays importateurs dépendent directement » a cadré Alessandra Kirsch, intervenante à l’assemblée générale de la coopérative Jura Mont-Blanc. Mais pour l’ingénieure agronome et docteure en économie agricole, la guerre russo-ukrainienne n’a fait qu’amplifier un cocktail de tensions existantes sur les marchés. Les racines remontent à la reprise industrielle post-covid, couplée aux mauvaises moissons 2021 et au comportement de la Chine « qui surstocke par précaution des céréales, des produits laitiers, de la viande de porc depuis 10 ans, au point de détenir en silo une année complète d’avance en blé ».

Crise inédite et historique

En juin 2022, à 430 € la tonne de blé, « c’est la panique générale et l’emballement généralisé de l’inflation ». Le prix de l’engrais azoté, c’est le cours du gaz, qui a rapidement triplé. Des usines ont stoppé la production. L’impact de la crise actuelle est déjà évalué par la spécialiste comme « pire que 2008 et semblable au choc pétrolier du milieu des années soixante-dix ». Depuis l’été, une certaine détente est constatée mais les niveaux de marchés restent bien plus élevés que les années précédentes.

Une PAC déconnectée

C’est dans ce contexte très chahutée qu’arrive pour les agriculteurs une nouvelle PAC 2023-2027 « conçue en 2018, bien avant la guerre, la Covid et l’inflation ». Alessandra Kirsch a calculé que « le budget est certes sauvé en euros constants mais baissera de 12 milliards par an en euros courants. Soit -100 Mds€ en termes réels sur la période pendant que les autres puissances mondiales renforcent leurs soutiens directs à leurs secteurs agricoles avec des prix minimums garantis (USA, Chine, Inde…) ». Trop d’inertie dans les instances européennes, les objectifs de verdissement et de réduction du potentiel de production alimentaire pensés il y a 4 ans apparaissent complètement obsolètes pour répondre aux priorités géostratégiques actuelles. « En réalité, il y a peu de changements sur cette PAC-là : le paiement vert qui s’appelle désormais écorégime n’est qu’un socle d’exigences minimales, sans enveloppe de soutien supplémentaire ». Les simulations de l’Idele montrent une baisse des budgets affectés aux aides bovines, qui passeront de 735 M€ en 2019 à 627 M€ en 2027, « mais les éleveurs de vaches laitières gagneront en aides couplées ».

Quels choix stratégiques ?

Interrogée sur le positionnement qu’une exploitation agricole ou qu’une coopérative agricole savoyarde devrait adopter pour résister à ces fortes turbulences, Alessandra Kirsch estime que la montée en gamme « atteint ses limites pour le pouvoir d’achat des consommateurs avec les hausses à deux chiffres de l’inflation des prix alimentaires ». Par contre, « c’est le moment de contractualiser vos marchés et vos prix sur plusieurs années pour sécuriser vos débouchés. Avec vos signes de qualité, vous êtes en position de force ». L’enjeu est aussi de parvenir à « stabiliser votre sourcing et gérer vos approvisionnements en qualité et en quantité » : adapter les formulations d’aliments, anticiper les achats extérieurs, créer des lieux de stockage tampon, produire une partie des intrants (projet Nutralp) et de l’énergie verte sur place…

« La rationalité économique doit primer »

L’intervenante a aussi invité les acteurs agricoles « à reconstruire des repères technico-économiques, à introduire de nouveaux indicateurs pour piloter finement vos coûts de production et surveiller vos marges ». Par exemple, Jura Mont-Blanc, bien que très peu adossé aux marchés internationaux, dépend fortement de la demande Suisse qui achète près de la moitié du volume de blé meunier, d’orge et de maïs. « Mais avez-vous calculé jusqu’à quel prix des engrais ça vaut encore le coup d’élever vos standards qualité pour satisfaire ce marché exigent ? » a-t-elle questionné, en invitant à raisonner rendement sur taux de protéines et marge sur coût alimentaire. « La volatilité est inscrite pour durer, la rationalité économique doit primer. J’invite tout le monde à se former et se perfectionner sur ces outils hyper-importants ».
La multiplication attendue des aléas climatiques et le désengagement de l’État imposent aussi de s’assurer. « Donnons une chance à cette réforme de l’assurance. C’est un parapluie pour l’agriculteur de pouvoir couvrir le risque du semis à la récolte. Et si on est anti-assurance, regardez avec votre comptable la déduction pour épargne de précaution (DEP). 2022 a été une bonne année agricole, mais personne ne peut prédire comment va évoluer la météo de 2023 »