Irrigants de France
Pourquoi les arguments de pillage de la ressource, de bassine sont-ils plus audibles dans l’espace médiatique ?
Lors de l’assemblée générale d’Irrigants de France, Gérald Bronner professeur de sociologie à Sorbonne Université est revenu sur la bataille médiatique qui se déroule autour de l’eau.
Réponse très étayée du sociologue, Gérald Bronner professeur de sociologie à Sorbonne Université, membre de l'Académie nationale de médecine depuis 2017, ainsi que de l'Académie des technologies et de l'Institut universitaire de France : « Nous avons autant d’éditorialistes en France que de comptes Facebook. Tous étaient géopolitologues au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine, tous épidémiologistes lorsque la Covid a surgi, tous spécialistes de l’eau…avec l’épisode de Sainte-Soline. Nous sommes face à l’effet Dunning Kruger, un biais cognitif par lequel les moins qualifiés dans un domaine pourraient surestimer leur compétence ». Et c’est ainsi que dans le monde numérique, ce phénomène joue à plein, « avec des supers utilisateurs, qui s’expriment beaucoup et qui sont souvent porteurs de radicalité. Les militants sont très forts pour dérouler une argumentation très rodée, une lutte du vraisemblable contre le vrai qui s’engage. Le mal n’a pas besoin d’autre chose pour s’imposer que de l’apathie ». Alors que faire pour contrer cette bataille de la communication ? « Tant qu’il y a de l’humain, il y a de l’espoir. Les opposants sont plus présents dans les médias, c’est un fait, mais vous pouvez combler le retard, en répondant à leurs sollicitations. Vous êtes experts en tant qu’agriculteurs et surtout légitimes pour répondre », insiste Gérald Bronner.
Pourquoi le monde politique cède-t-il facilement à l’argumentaire des opposants aux méga bassines ?
La réponse est venue de l’intérieur par la voix de Laurent Duplomb, sénateur de Haute-Loire, invité à témoigner à la table ronde en visio : « Par facilité, le monde politique s’est laissé séduire par les raccourcis. Il est plus facile de céder à la tentation du populisme. L’éducation de l’école de la République ne permet plus aux Français de cultiver la rationalité. La peur, la culpabilité et l’interdit ont remplacé le triptyque républicain : liberté, égalité, fraternité. » Et d’enjoindre les agriculteurs à ne pas lâcher les armes : « Le média se nourrit des peurs, il faut des interlocuteurs crédibles et disponibles pour les contrecarrer. Il faut peut-être également utiliser un langage plus imagé que celui de réserve de substitution pour qu’enfin nous sortions de cette perpétuelle guerre de l’eau ».
Sophie Chatenet
Notre ciment commun ébranlé par le numérique, selon Gérald Bronner
« On est dans une situation inédite, celle de la révolution numérique qui fait qu'on n'a jamais eu autant d'information disponible. Cette révolution donne la possibilité pour chacun d’exposer son point de vue et aboutit à une concurrence des idées. Mais tout cet environnement fait baisser notre vigilance intellectuelle. Je vois deux dangers principaux : celui de la rupture d'un socle commun, avec des gens qui vivent dans une même société mais dans des mondes parallèles. Or, pour débattre dans une démocratie, il faut être dans le même monde intellectuel. Le deuxième grand risque est celui des ingérences étrangères et la perturbation des échéances démocratiques. »