FILIÈRE
Qu’y a-t-il derrière la nouvelle filière Porc de Bresse ?

Margaux Legras-Maillet
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Malgré des démarrages poussifs sur fond d’harmonisation entre les acteurs de la filière, Porc de Bresse a vu le jour début septembre. Elle permet aujourd’hui à la SARL de Montburon de valoriser localement ses maternités truie liberté et ses mâles entiers. 

Qu’y a-t-il derrière la nouvelle filière Porc de Bresse ?
PHOTO/MLM

La nouvelle micro-filière porcine de l’Ain, Porc de Bresse, a été présentée lors de l’opération de communication et de promotion de la filière porcine (nationale) organisée par Inaporc le 24 novembre dernier. Hasard des choses, l’interprofession avait choisi la SARL de Montburon, ainsi que la salaison La Bresse à Servas comme vitrines du savoir-faire français. C’est donc tout naturellement que l’on apprenait l’existence de cette nouvelle démarche qui n’avait jusque-là pas été annoncée officiellement. 
Une véritable nouveauté locale puisqu’il n’existe à l’heure actuelle aucune filière de ce type dans le département. 

Les maternités truie liberté valorisées 
 
Cette filière individuelle – elle n’intègre que la SARL de Montburon à Curtafond – valorise le bien-être animal via les nouvelles maternités truies liberté de l’exploitation, ainsi que le mâle entier. « Agrial est venu nous voir par le biais de Sanders parce qu’ils savaient qu’on avait des truies maternité liberté. », explique Alexis Pugliese. L’objectif, valoriser cette particularité, dont seuls deux éleveurs de l’Ain ont fait le pari. La filière Porc de Bresse dispose de son propre cahier des charges : « Les porcs doivent être nés, élevés en maternités truie liberté et transformés localement avec les mêmes conditions que la bio pour les antibiotiques », précise Alexis Pugliese. Pour l’aliment, 100 % des céréales sont d’origine française. En revanche, étant donnée la conjoncture, les tourteaux et protéines sont importés, « mais le but, c’est aussi d’évoluer », ajoute l’éleveur. Lui et son associé Jean-Vincent Chapaton visent de toute façon de plus en plus l’autosuffisance alimentaire. Difficile pour les deux éleveurs de ne pas se laisser séduire. Les deux associés élèvent 380 truies et 4 000 têtes chaque année. Ils ont investi plus de 750 000 € pour leurs 96 places de maternité. Porc de Bresse, c’était la promesse de leur valorisation. D’autant plus qu’Agrial accepte le mâle entier. Une aubaine pour les éleveurs : « On s’était mis à l’anesthésie locale, mais c’est un coût et entier, les mâles mangent moins et grandissent plus vite. C’est un gain de 12 ct€/kg environ », ajoute Alexis Pugliese.
Administrateur chez Cirhyo, l’éleveur ne souhaitait cependant pas quitter le groupement pour Agrial. Il a donc fallu convaincre, mais « ils ont fini par accepter » de travailler ensemble, se réjouit l’éleveur. De son côté Philippe Chanteloube, directeur de Cirhyo, ne regrette pas son choix de l’avoir soutenu : « Ils ont monté ça de façon autonome, ils nous ont associés pour la partie logistique et commerciale, mais pas dans l’élaboration du cahier des charges. Je ne voulais pas faire perdre de l’argent à mon éleveur, c’est sûr que ce n’est pas collectif mais je n’allais quand même pas m’opposer et dire à un administrateur de Cyrhio « je me mets en travers de ta filière ». C’est une micro filière donc tout le monde ne peut pas y être mais ce n’est pas pour ça qu’il faut l’empêcher. Ils ont été intelligents, ils ont trouvé le truc. Ce que je regrette c’est de ne pas avoir été associé tout de suite. »
 
Le mâle entier payé au prix cadrant
 
Avec cette filière, la coopérative fait le choix d’accompagner Alexis Pugliese et son associé, mais les modalités ne sont pas exactement les mêmes que pour les autres éleveurs. En effet, alors que le groupement travaille majoritairement avec la marque Herta, une décote est appliquée sur le prix d’achat aux éleveurs pour le mâle entier, exceptée pour certains éleveurs de la zone Nord, tandis que pour la SARL de Montburon, le mâle entier est acheté au prix cadrant. « Il y a effectivement une décote aujourd’hui pour les éleveurs, mais par contre il y a des volumes très importants, précise Philippe Chanteloube. Pour l’instant cela ne pose pas de problème avec les éleveurs, mais il ne faut pas non plus en faire une affaire d’État. Cela reste une niche (filière Porc de Bresse, NDLR), donc c’est tant mieux pour l’éleveur. Ce sont des jeunes qui ont beaucoup investi. »
Au pire, pour Alexis Pugliese, cela ne pourra que faire bouger les choses dans le bon sens pour les éleveurs. Une décision qui peut sembler individualiste, mais cohérente pour celui qui est pressenti pour reprendre prochainement les reines du syndicat régional. « Est-ce que ça va compliquer les choses pour moi, je ne sais pas. Je ne connais pas du tout le milieu syndical mais j’estime qu’on est là pour représenter la filière dans sa globalité, que ce soit des petites filières, le porc breton, etc. Et puis le marché change. Aujourd’hui le bio se casse la figure, de même pour les produits qui coûtent cher, mais le local fonctionne encore. »  
 
30 % du coût de production contractualisé 
 
Aujourd’hui Cirhyo achète donc 100 % des porcs de l’exploitation de la SARL Montburon qu’elle revend à l’abattoir de la Chevillotte à Valdahon – il n’a pour l’instant pas été possible de contractualiser avec un abattoir local. Agrial paye ensuite la plus-value de la filière directement à l’exploitation. La totalité des quantités sont ensuite transformées par la salaison La Bresse à Servas qui revend ensuite à des GMS locales et grossistes : « Intermarché, bientôt Super U, Système U et les Auchan à Lyon depuis octobre, précise Marc Berger, directeur de la salaison. Pour la partie grossistes, on a entre autres la boucherie André et au total une dizaine d’interlocuteurs. » La Bresse a contractualisé directement avec la SARL de Montburon sur 100 % de ses quantités, ce qui représente environ 5 % des volumes de la salaison. « Dans le contrat, 70 % est payé au prix cadrant plus la plus-value technique et bien-être animal, et 30 % au coût de production. Ce qui nous rémunère le plus, c’est le mâle entier, mais dans le cahier des charges, ce qui est le plus important, c’est les maternités truie liberté », précise Alexis Pugliese. Il est encore trop tôt pour dire si le mâle entier saura séduire les consommateurs sur le long terme, mais pour l’instant « les perspectives sont bonnes. On ne voit pas la différence, ni à la livraison, ni à la transformation », note Marc Berger. 
Seule ombre au tableau, depuis le rachat de la salaison du Mâconnais et celle de La Bresse, installée à Servas, il y a trois ans, le géant Agrial place un nouveau pied dans le département avec le portage de cette nouvelle filière. La coopérative souhaiterait-elle conquérir l’Est de la France ? C’est ce que craignent certains éleveurs. Quant à la principale intéressée, malgré nos efforts pour connaître ses réelles intentions, nous n’avons pas réussi à la contacter. 

Thierry Thénoz s’exprime

Au courant depuis quelques temps de l’existence de Porc de Bresse, le président de la section porcine de la FDSEA voit plutôt d’un bon œil le lancement de cette filière. « C’est une démarche de différenciation qui permet d’apporter une valorisation. Tout ce qui permet d’apporter une valorisation à l’éleveur est forcément le bienvenu », souligne-t-il. Thierry Thénoz regrette néanmoins que cette filière aindinoise ne soit pas portée par des entreprises locales. L’éleveur de porcs situé à Lescheroux, sans viser spécifiquement Porc de Bresse, reste également prudent face à la multiplication de petites filières : « Il ne faut pas qu’une démarche différenciante corresponde à des marchés de mode parce qu’on est sur des démarches longues en tant qu’éleveur mais le consommateur est lui très volatile. Toute la montée en gamme, le bio également, on voit bien que quand on revient dans un contexte économique de pouvoir d’achat contraint, ce sont des filières qui sont mises à mal. Si on se rappelle du discours de l’État il y a quelques années aux premiers états généraux de l’alimentation, on nous parlait que de monter en gamme mais aujourd’hui l’acte d’achat s’oriente vers du premier prix. » S’il revient finalement à chaque éleveur de peser le pour et le contre sur son exploitation de telles démarches, Thierry Thénoz s’interroge enfin sur leur rentabilité réelle : « Chaque fois qu’on met une démarche de segmentation et de traçabilité, ça coute de l’argent et le problème, c’est de savoir si ce surcoût permet une valorisation. Et puis il faut faire attention tout de même. Si chacun fait ça dans son coin, demain on aura un Porc de Bresse, puis un porc Auvergne-Rhône-Alpes, puis un porc de l’Ain et un porc de Lescheroux … à qui est-ce que cela bénéficie ? Au distributeur qui fait jouer la différence entre Pierre, Paul et Jacques ça c’est sûr, après est-ce que ça bénéficie à l’éleveur, je ne sais pas. »