DISTILLATION
Bouilleur de cru : une tradition à perpétuer

A la Cuma de Meyriat, on perpétue la tradition du métier de bouilleur de cru. Les adhérents s’y retrouvent dans une ambiance conviviale pour y transformer leurs fruits en une eau de vie aux arômes subtils et parfumés.
Bouilleur de cru : une tradition à perpétuer

Il est 6 h. René Darmedru démarre l'alambic de la Cuma de Meyriat dans le local réhabilité par la commune, dédié à la distillation. Un maître en la matière puisque que cela fait plus de 30 ans qu'il distille les fruits des adhérents de la Cuma. Pour cet ancien mécanicien (machines agricoles et poids lourds), distiller est avant tout un plaisir qu'il aime à transmettre aux nouveaux à qui il explique toutes les ficelles. Dans l'alambic, tous les fruits locaux servent à la fabrication de l'eau de vie : pommes, poires, cerises, mirabelles, prunes, raisins de la treille, mais aussi les lies et le marc de raisin. « Cette année, on fait surtout de la prune », explique-t-il. Les adhérents amènent leurs fruits qui ont fermenté dans des bidons pendant au moins quatre à cinq mois. Il ajoute : « On commence par mettre de l'eau au fond de l'alambic. Puis on ajoute les fruits dans des sacs en toile de jute. Après on met le bonnet de l'alambic et les tuyaux. La vapeur d'eau étant plus lourde que les vapeurs d'alcool, elles redescendent dans l'alambic, tandis que les vapeurs d'alcool arrivent dans le refroidisseur. L'alcool sort à 75 – 80°. Après on fait la « coupure », c'est-à-dire qu'on laisse couler jusqu'à ce que ça descende à 47° et si nécessaire on coupe avec de l'eau du robinet ».
Ce matin-là, David, un habitant de Meyriat, a amené 80 kg de prunes, qui donneront entre 8 et 10 l d'eau de vie. Des fruits issus de vergers qui lui ont été transmis par ses parents. « On le fait surtout pour perpétuer la tradition et aussi pour la convivialité », souligne-t-il, avouant qu'il offre 80 % de son eau de vie à des amis et la famille. René Darmedru aime à rappeler que la « goutte », comme on l'appelle encore dans les campagnes, était aussi utilisée par les anciens comme désinfectant, « ils pouvaient en donner aussi à une vache pendant un vêlage lorsqu'elle se délivrait mal ».

 

L’appareil de mesure qui permet de connaître précisément le degré l’alcool.L’eau de vie, fraîchement distillée, à la sortie de l’alambic.

Une activité très réglementée

A la tête de la Cuma, on trouve une femme, amoureuse des traditions et désireuse de les perpétuer. Sollicitée par les anciens, Véronique Antoine, viticultrice à Rignat, a repris la présidence en 2014 : « Nous avons une soixantaine d'adhérents actifs à la Cuma. Une année « normale » qui donne des fruits, nous avons entre 30 et 40 distillateurs. Une poignée d'adhérents ont encore des privilèges, ce qui leur permet de ne pas payer de droits jusqu'à dix litres ». Pour les autres, le tarif est de 8,79 € le litre d'alcool pur pour les dix premiers litres et au-dessus, c'est plein tarif : 17,58 €/l. L'adhérent établit son chèque à l'ordre du trésor public et c'est Véronique qui se charge de toutes les démarches administratives : envoi des chèques et des déclarations de distillation aux douanes, et remise à l'adhérent du document simplifié d'accompagnement qui lui permettra de circuler avec son alcool en toute légalité. Le coût d'utilisation du matériel de la Cuma est facturé quant à lui
12 € la journée. Les règles sont strictes : chaque adhérent se doit d'attendre 18 h pour repartir avec ses litres d'eau de vie. En fin de journée, René, s'affaire au nettoyage de l'alambic et du local, en attendant la prochaine journée de distillation...

Patricia Flochon

 

La distillation en chiffres (campagne 2017/2018)

 

326 : nombre de bouilleurs de cru inscrits au répertoire des bénéficiaires de l'allocation en franchise (10 premiers litres produits en exonération totale des droits - art. 317 du Code Général des Impôts) et ayant distillé durant la campagne 
25 HLAP (hectolitres d'alcool pur) : volume d'alcool distillé au titre de l'allocation en franchise
426 : nombre de bouilleurs de cru en droit réduit (50% du droit de consommation sur les 10 premiers litres d'alcool produits - art. 317 CGI)  ayant distillé pendant la campagne
21 HLAP : volume d'alcool distillé au titre du droit réduit
113 alambics répertoriés dans le département de l'Ain, sachant qu'une bonne partie d'entre eux restent scellés car inutilisés.
Produits distillés : majoritairement lies de vin, vins et marcs
Les distillations ont été réalisées dans les ateliers publics du département par quatre bouilleurs ambulants, venant parfois des départements limitrophes, ainsi qu'au sein de Cuma.  La totalité du volume produit s'inscrit, soit dans le cadre de l'allocation en franchise, soit dans le cadre du droit réduit (pas de volumes produit au taux plein - 1741,04€/HLAP en 2018).
Concernant la campagne 2018/2019, compte tenu des distillations déjà réalisées, le volume produit s’annonce en augmentation ; augmentation qui serait liée, d'après les bouilleurs de cru, à une récolte de fruits abondante pour la saison 2018.
(Source : Direction régionale des douanes du Léman)

 

 

Ces Cuma qui distillent encore dans l’Ain…

Sur les 192 Cuma du département, quinze distillent des fruits pour leurs adhérents. Nicolas Boinon, directeur de la fédération départementale, nous en dit plus. Hormis les Cuma de Montracol, Saint-Etienne-du-Bois et Meillonnas, qui ont une branche d’activité « distillation », toutes les autres sont dédiées à 100 % à la distillation. Ces Cuma sont principalement situées en Bresse, mais on en trouve aussi quelques-unes dans le Revermont, en plaine ou encore dans le Bugey. La plupart d’entre elles ont constaté une diminution importante d’activité pendant la dernière décade. Les situations économiques sont diverses dans cette zone du département et dépendent largement des politiques définies par les conseils d’administration ainsi que des soutiens locaux apportés par les communes. Il est important que les communes soutiennent l’activité, aussi bien sur le plan financier que de la communication. Bouilleur de cru est un métier d’autrefois qui a malheureusement tendance à disparaître, or c’est une activité qui reflète l’histoire des territoires. Une activité très peu connue de la population et l’âge moyen des personnes qui distillent augmente. L’intérêt de la Cuma est d’avoir un renouvellement des générations qui permet de transmettre ces traditions.