INTERVIEW
Christiane Lambert : « Nous ne lâcherons rien »

Lors du Salon international de l’agriculture à Paris, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a eu l’occasion d’échanger avec le président de la République, Emmanuel Macron. Retour avec elle sur cet entretien crucial à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Christiane Lambert : « Nous ne lâcherons rien »
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. ©FNSEA

Quelle a été la teneur de la discussion que vous avez eue avec Emmanuel Macron ?

Christiane Lambert : « Le président de la République a rappelé que les deux lois Egalim devaient s’appliquer pleinement. La rémunération des agriculteurs, un des éléments clés de la souveraineté alimentaire avec notre capacité de production, y est inscrite. Il tient, comme nous à la FNSEA, que tous les dispositifs mis en place soient appliqués même si certains jugent que c’est compliqué. Je regrette que certaines enseignes aient toujours les vieux réflexes de l’ancien monde et prennent aujourd’hui les industriels en otage. Il n’est pas acceptable qu’elles n’accèdent pas à leurs demandes de répercuter la hausse des prix. Le risque de perdre cet outil industriel et in fine les parts de marché qui en découlent est réel. Ce risque hypothèque clairement la production. Si l’on y réfléchit bien, la hausse du prix des matières premières est importante en début de chaîne. Mais en bout de chaîne, cela fait combien pour un litre de lait ou une baguette ? Deux centimes ? Je pense que le consommateur a les moyens de consentir cet effort. »

Vous avez évoqué les moyens et capacités de production. Quel est le sentiment du chef de l’État sur ce thème ?

C.L. : « Nous l’avons interpellé sur les surtranspositions que la France met en œuvre, sur les impasses phytosanitaires, le surcoût des zones de non-traitement, le plan pollinisateur et le carcan des successions culturales. Il a été, je pense, sensible aux conséquences que toutes ces mesures peuvent générer sur les productions, et sur les coups d’arrêt qu’elles engendrent. À ce titre, je regrette beaucoup que l’Anses ne tienne pas compte des nouveaux outils performants et qu’elle appuie la conclusion de ses avis sur des matériels anciens et dépassés. Par ailleurs, Emmanuel Macron a été, je crois, conscient que le temps de la recherche ne correspond pas au temps politique et au temps agricole. Nous lui avons fait comprendre, sur le dossier des néonicotinoïdes, qu’il fallait agir avec pragmatisme et ne pas s’interdire, en cas de besoin, de prolonger leur autorisation d’utilisation. »

Ces règles ne méritent-elles pas d’être harmonisées au plan européen ?

C.L. : « Bien entendu, c’est pourquoi nous souhaitons que la révision de la directive SUD sur les pesticides fasse l’objet d’un règlement et non plus d’une directive. Le règlement pourrait être plus contraignant, y compris en France, mais l’avantage est que la règle sera commune à tous et qu’il n’y aura pas d’échappatoire pour y déroger. Il n’y aura plus sur ce point de distorsion de concurrence. Il faut d’ailleurs en terminer avec cette instabilité et ces changements permanents. Les agriculteurs ont besoin de perspectives invariables, fermes, pour pouvoir travailler sereinement et sur le long terme. Cela vaut aussi au plan juridique sur le dossier des ZNT. À ce titre, nous allons sécuriser les chartes et tout faire pour qu’elles ne fassent pas l’objet de recours de la part des ONG. Dans le même esprit, nous allons faire pression sur les maires et les présidents d’intercommunalités pour faire respecter le principe de réciprocité inscrit dans la loi climat et résilience. Sur ce point comme les autres, nous ne lâcherons rien. »

Le président a-t-il évoqué avec vous les conséquences de la guerre en Ukraine ?

C.L. : « Il a évoqué un plan de résilience, qui prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer la résistance de nos exploitations agricoles, en construisant des réponses de court et moyen terme. Ce plan, qui sera élaboré en association avec les organisations professionnelles agricoles, dont la FNSEA, permettra de sécuriser au maximum les revenus mais également l’approvisionnement en énergie et en intrants, afin de faire face aux conséquences économiques du conflit russo-ukrainien. Il est en effet important que nous nous dotions d’un bouclier alimentaire qui nous permette de produire en France et en Europe. C’est aussi cela la souveraineté alimentaire. On ne peut pas nier qu’en cas de conflit, l’agriculture et l’alimentation représentent des armes stratégiques. »

Propos recueillis par Christophe Soulard